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Mais a-t-oii bien cxaininé l’imporlaiicf ! de ce viscère indispensable à la vie sociale, et que les anciens eussent dcilié peut-être ! Spéculateur, vous bâtissez unquarlier, on même un village ; vous avez conslruil pins ou moins de maisons, vous avez été assez osé pour élever une église ; vous trouvez des espèces d’habitants, vous ramassez un pédagogue, vous espérez des enfants ; vous avez fabriqué quelque chose ipii a lair d’une civilisation, connue on fait niie tourte : il y a des champignons, des pattes de poulets, des ècrevisses et des boulettes ; un i)resbylère, des adjoints, un garde champèlre et des administrés : rien ne tiendra, tout va se dissoudre, tant que vous n’aurez pas lié ce microcosme par le pins fort des liens sociaux, par un épicier. Si vous tardiez à planter au coin de la rne principale un épicier, comme vous avez planté une croix au-dessus du clocher, tout déserterait. Le pain, la viande, les (ailleurs, les prêtres, les souliers, le gouvernement, la solive, tout vient par la poste, par le roulage ou le coche : mais l’épicier doit èlre là, rester là, se lever le premier, se coucher le dernier ; ouvrir sa bouli(iue à toute heure aux chalands, aux cancans, aux marchands. Sans lui, aucun de ces excès qui distinguent la société moderne des sociétés anciennes auxquelles l’eau-de-vie. le tabac, le thé. le sucre, étaient inconnus. De sa boutique procède une triple production pour chaque besoin : tlie, café, chocolat, la conclusion de tous les déjeuners réels ; la chandelle, l’huile et la bougie, source de toute lumière : le sel, le poivre et la muscade, qui composent la rhétorique de la cuisine ; le riz, le haricot et le macaroni, nécessaires à toute alimentalionraisonnée ; lesucre, les sirops et la confiture, sans quoi la vie serait bien amère ; les fromages, les pruneaux et les mendiants, (jui, selon Brillât-Savarin, donnent au dessert sa physionomie. Mais ne serail-cc pas dépeindre tous nos besoinsqnc détailler les unités à trois angles ([u’embrasse l’épicerie L’épicier lui-même forme une trilogie : il est électeur, garde national et juré. Je ne sais si les moqueurs outunepierie sous la mamelle gauche, mais il m’est impossible de railler cet homme quand, àl’aspectdes billes d’agate contenues dans ses jaltes de bois , je me rappelle le rôle qu’il jouait dans mon enfance. Ah I ipielle place il occupe dans le cceur des marmots anxcjncis il vend le papier descocottes, la corde des cerfs-volants, lessoleils elles dragées ! Cet homme, qui tient dans sa montre des cierges pour notre enterrement et dans son œ une larme pour notre mémoire, côtoie incessamment notre existence : il vend la phmie et l’encre au poète, les couleurs au peintre, la colle à tous. In joueur a (ont perdu, veut se tuer : l’épicier lui vendra les balles, la poudre on l’arsenic ; le vicieux personnage espère tout regagner, l’épicier lui vendra des cartes. Voire maiiresse vient, vous ne lui offrirez pas à déjeuner sans l’interveution de l’épicier ; elle ne fera pas une tache à sa robe qu’il ne reparaisse avec l’empois, le savon, la potasse. Si, dans une nuit douloureuse, vous appelez la lumière à grands cris, l’épicier vous tend le rouleau rouge du miraculeux, de l’illustre Fumaile, que ne délrôneut ni les briquets allemands, ni les luxueuses machines à soupape. Vous n’allez point au bal sans son vernis. Enfin, il vend l’hostie au prêtre, le ccnl-scpt-aiis au soldat, le masque au carnaval, l’eau de Cologne à lapins belle moitié du genre humain. Invalide, il te vendra le tabac éternel que tu faispasserde ta tabatière à ton nez, de ton nez à ton mouchoir, de ton mouchoir à ta tabatière : le nez, le tabac et le mouchoir d’un invalide nesont-