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214 LA MAIlliESSli DE lAULli D’HOTE.

consolants. Des ligures honnêtes et des maintiens décents se montrent souvent, de distance en distance, entre les profils plus ou moins rudes qui dressent, tout autour de la loiii ;»c lable, leurs deux liitnes parallèles et mouvantes. Çh et Ih des conversations élégantes et des paroles polies s’échangent entre deux voisins étonnés Cette confraternité de l’éducation se reconnaît d’abord : on se cherche d’instinct, des rapports s’établissent ; ces différentes liaisons particulières s’agglomèrent, se centralisent, et il en résulle bientôt un noyau qui va grossissant, et une petite société à part au milieu de laquelle les excentricités du lieu n’aiment point a s’aventurer. Ln trait caractéristique de la table d’hôte, c’est la présence d’une ou deux jolies femmes (selon l’iinporlance de l’élablisseraeiit ) qui s’affranchissent régulièrement chaque jour des prosaïques Iriiiuialioiis du (piart d’heure de Rabelais. Ces dames sont placées au centre de la table ; elles ne doivent pas avoir plus de vingt-cinq ans. être a peu près jolies, mais surtout excessivement aimables. Ou ne tient pas précisément à la couleur des cheveux, cependant on préfère les brunes : c’est plus piquant, et d’un effet plus sûr et plus général. A ces conditions, ces dames sont traitées avec toutes sortes d’égards, exposées à toutes sortes d’hommages, et dînent tous les jours pour i’aniour de Dieu et du prochain. Ces parasites femelles, qu’on désigne généralement sous le nom de moiulics ( soit "a cause de la légèreté de leur allure, soit plutôt par analogie avec le rôle qu’elles jouent dans cette circonstance), ne se trouvent néanmoins que dans les (ables d’hôte du premier et du dernier degré. Elles ne se mon-IrcTil point il la table d’hôte a 5 francs ; la maîtresse de la maison les en éloigne avec une viuilance qui tourne au profit de la morale et de sa coquetterie, — deux incompalibililés qu’elle seule a trouvé le moyen do concilier.

Si jamais, dans un de ces accès d humeur vagabonde auxquels tout vrai Parisien est périodiquement soumis cha(|ue année au retour du printemps, il vous prend fantaisie <le franchir la barrière pour aller voir, du haut des buttes Montmartre, se coucher l’astre aimé au(iuel vous avez l’obligalion de porter aujourd’hui un pantalon d’une entière blancheur et des brodeiiuiiis d’un lustre irréprochable, |)ermettez-nioi de me joindre à vous et de diriger votre excursion poétique. D’abord, des raisons particulières et que vous allez connaître m’engagent à vous faire sortir de préférence imr la barrière Pigale. Au lieu de commencer immédiatement notre ascension par la rue en face, tournons, je vous prie, à gauche, et traversons le boulevard. Il n’est que cinq heures et demie ; le soleil ne se couchera pas avant deux heures d’ici. Vous n’avez peut-être pas encore dîné ; dans ce cas perniellez-moi de vous offrir. . . un dîner a la barrière. Bah ! un peu de honte est bientôt passé, et je vous promets de ne pas vous trahir auprès de vos amis du Café de Paris. Nous voici précisément en face de la célèbre table d’hôte de M. Simon. Levez la tête et lisez, là, h côté de cette petite porte verte grillée, sur une affiche collée à la muraille : Table d’Iiôlc à i franc 25cenlimes, servie tons les jours à eiiiq heures et demie. Allons... personne ne vous voit... entrez.

Déjà les tables sont dressées dans le jardin, sous un berceau de vignes et de chèvre feuilles recouvert d’une toile en forme de lento. Prenons place, cl ne vous impalieiitcz pas. 11 est 6 heures, à la vérité, el le dîner est annoncé pour 5 heures et