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204 LE JOUliLIt iJ’ECHliCS.

débats : a l’auioie, laquesliou u’avail pas fail un pas. Il lut impussible de s’accorder, ou ne conclut lieu. M. Deschapelles, qui se préparait à faire aussi sa petite descente eu Angleterre, rentra sous sa tente, et il ne resta de tout ce bruit que le souvenir d’uu excellent dîner chez Grignou.

Les soirées du club Ménars ontélé foit animées en ces derniers temps, et elles ont eu, au dehors, un retentissement piodigieux, à cause des merveilleuses parties qu’a jouées M. de Labourdonnais, le dos louruéa l’échiquier. Philidor, ce célèbre musicien et joueur d’échecs, avait le pieniier mis eu vogue ces incroyables tours de force, et peisonne après lui n’avait songé ii les lenouveler. M. de Labourdonnais avait toujours été vivement préoccupé de cette tradition, et ce laurier de Philidor rerapêchait quelquefois de dormir. l !n jour, il essaya une de ces parties de combinaisons intuitives, et il réussit corapléleraent : le lendemain il en joua deu-x, et ne fut pas moins heureux. Le bruit de ces parties courut la ville, et il émut vivement le monde de l’échiquier. On ouvrit alors les portes du club Ménars aux amateurs et aux curieux, et ce qui n’avait eu jusqu’alors qu’un nombre fort restreint de témoins adeptes éclata au grand jour d’une publicité solennelle. Ces deux parties se jouaient au club, dans la grande salle du billard. M. de Labourdonnais s’asseyait dans un angle, le dos tourné aux deux échiquiers, le front sur le mur, le visage dans ses mains. Un amateur indicpiait "a haute voix le mouvement stratégique de la pièce, ou du pion avancés. Aussitôt M. de Labourdonnais ripostait comme s’il avait eu l’écliiquiL-r sous les yeux. A mesure que les parties allaient a leur lin, et que la double fosse se jonchait de pièces tombées, le croisement de ces milliers de combinaisons, opéré i)ar les coups antérieurs, les coups présents et futurs, et embrouillé h l’infini dans la mémoire du joueur aveugle, devenait si effrayant a l’imagination des spectateurs, qu’une solution heureuse semblait bien difficile et une double victoire impossible. Ou’on ajoute ensuite aux inextricables difficultés inhérentes au jeu l’assaut continuel des distractions qui arrivaient de toutes les salles, le murmure des voix étouffées, le grincement des portes, l’agilation des pieds, les exclamations involontaires de surprise, les gammes prolonijées des rhumes d’hiver, les salutations éclatantes et joyeuses des gens qui entraient sans se douter de rien, tous ces incidents enfin dont un seul peut dérouter l’attention, et couper dans la mémoire le fil des combinaisons, et l’on se fera a peine une idée de ce miracle de l’esprit. L’analyse physiologique de ce travail intérieur est révoltante. On constate le fait : on no l’explique pas.

Le joueur d’échecs qui s’est voué a son art avec passion mène une vie pleine d’émotion et de charme : c’est un général (]ui livre cin(| ou six batailles jinr jour, et ne lait tlu mal h personne : il a toute l’exaltation du triomphe, toute la philusoidiie de la défaite, toute la volupté de la vengeance, comme dans la vie militaire ; seulement il ne verse point de sang humain. Le joueur d’échecs a adopté les formules des professions héroïques ; il dit : Hier j’ai batlu le général llaxo, et il souritavcc ovalion ; ou bien : Ce matin, le général Duchaffaut m’a battu, et il baisse les yeux modestement. Il est ordinaire au club d’entendre des phrases comme celles-ci : — Vous aviez une mauvaise position. — Votre attaciue a été faible sur la droite. - Vous avez engagi'