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dans (le longs tôte-à-tète, étudier les nionvenienls de la hausse et de la baisse. On .i longtemps cru que ses conférences voilaient autrechose que des reports et des jen de bourse. La coquette laissait dire, parce <[u’elle trouvait sou compte a ces médisances : un amant de plus est un hommage de plus ; et la passion de cœur qu’on lui prêtait dissimulait d’autant mieux la passion d’argenlqui la dévorait. Néanmoins des gens qui se disent bien instruits afliiiuent que toules ses relations avec l’agent de change n’étaient autre chose que des relations flnancières. Aux premiers jours de sa dignité, la chanoinesse avait vonlu se montrer difficile, et n’admettre chez elle que des noms emblasonnés ; mais les nobles du faubourg s’étaient montrés aussi difficiles qu’elle, en repoussant ses invitations. Son parti fut bientôt pris ; car les coquettes ont toujours une certaine (ierté qui les protège contre l’insulte ; et il lui fut aisé de remplacer les nobles dédaigneiis par des artistes, des littérateurs et d’aimables oisifs, qui reconnaissaient sa généreuse hospitalité parleurs complaisances et leurs hommages. Environnée de ce cercle joyeux de convives indépendants, lachanoinesse trône avec assez de grâce pour les maintenir, avec assez d’abandon pour donner’ toute liberté "a leur esprit. C’est à lal)le qu’elle déploie le luxe de sa coquetterie elle stimule les appétits gourmands, fait du sentiment avec les poètes, parle de progrès aux humanitaires, trouve un mot aimable pour chacun de ses adorateurs, et ne néglige pas quelque homélie religieuse, (|ui va ;i l’adresse de son aumônier, et passe inaperçue pour les sceptiques, occupés au culte de la matière représentée par les œuvres culinaires d’un habile Vatel. Jamais, au resie, coquette ne chercha a dissimuler avec plus d’habileté les grossiers besoins de la nature humaine, lue crème, une gelée d’orange, un biscuit "a la cuiller forment la carte de son repas, et encore ces mets passenten fragments si imperceptibles et à des moments si bien choisis, que, pour la plupart des convives , elle ne mange rien. Aussi ses adorateurs lui trouvent (pielque chose d’aérien ; son aumônier assure qu’elle vit de la parole de Dieu, et les indifférents lui savent gré des privations qu’elle s’impose pour leur donner quelques illusions. Il est vrai que le soir, retirée dans sa chambre, la chanoinesse compense par un souper substantiel les abstinences de sa coquetterie ; mais ceux qui se plaisent h onvironnerune femme de poésie, trouvent que cette dissimulation est plutôt un hommage pour eux, qu’un ridicule pour elle.

Parmi les hommes qui l’entourent, lachanoinesse, comme on le pense bien, doit avoir des préférences intimes. Elle est trop bonne chrétienne pour oublier ce précepte : « Il sera beaucoup pardonné ’a ceux qui auront beaucoup aimé ; » elle est trop instruite des prérogatives féminines, pour ne pas avoir, au moins en apparence, plusieurs adorateurs. D’habitude pourtant ils se réduisent a trois : l’un , qu’elle a par goût ; c’est un homme médiocre, qu’elle aime et qui la rudoie : l’autre, qu’elle a par vanité ; c’est un poète, qui l’adore et qu’elle tyrannise : le troisième, qu’elle a par mode : c’est un homme de bon ton, qu’elle cajole et qui s’en amuse. Avec le premier, elle est tendre ; avec le second, prude ; avec le troisième, coquette. Mais ce n’est pas pour elle plusieurs cultes a la fois ; c’est un seul amour en trois personnes. Cependant ce n’est guère qu’aux premières années de son noviciat , que la cha-