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ce soit un siècle, que ce soit un vice qui fasse la différence entre une époque et une autre épo(jue, le moyen, je vous prie, qu’un pauvre historien, livré à lui-même, saisisse au passage toutes ces nuances ? Autant vaudrait lui imposer la tâche de retenir toutes les chansons diverses que chantent les oiseaux dans les bois. Certes, quand vous lisez les admirables chapitres du vieux Théophrasle, mort a cent cinquante ans. et se plaignant du peu de durée de la vie des hommes, cela vous étonne de voir dans ces pages si vives, et cependant si pleines d’esprit et de sel, grouiller tout le peuple athénien. Les simples chapitres de Théophraste vous font mieux connaître ce peuple d’Athènes que toutes les hisloires de Xénophon et de Thucydide ; mais cependant quelle joie serait la vôlre si vous les pouviez voir maintenant, ces bons bourgeois, vêtus, meublés, nourris, posés comme ils l’étaient du temps de Théophrasle, et tels qu’il les a vus lui-même ! Votre joie serail-elle donc gâtée si vous les pouviez voir passer dans la rue, ces braves gens qui ont posé sans le vouloir devant le philosophe grec : le jhitteur, "imi>ertiiie)il, le nisùqne, le complaisant, le coquin, le grand parleur, V effronté, le nouvelliste, Vavare, Vim~ pudent, le fâcheux, le stupide, le brutal, le vilain lioinme, Vliomme incommode, le vaniteux, e poltron. es grands delà réimblique ! Que celui-là eût été bien avisé, qui eût accompagné de quelques dessins lidèles ces personnages si divers !

Que d’intérêt il eût ajouté au récit de Théophraste, et combien nous 

reconnaîtrions plus facilement ces originaux, si vivement dépeints ! Mais, Dieu nous protège ! ce que nos devanciers n’ont pas fait pour nous, nous le ferons pour nos petits-neveux : nous nous montrerons à eux non pas seulement peints en buste, mais des pieds à la tête et aussi ridicules que nous pourrons nous faire. Dans cette lanterne magique, où nous nous passons en revue les uns et les autres, rien ne sera oublié, pas même d’allumer la lanterne ; en un mot, rien ne manquera à celte œuvre complète, qui a pour objet l’étude des mœurs comtemporaines, et dont La Bruyère lui-même, notre maître a tous et à bien d’autres, nous a en quelque sorte dicté le programme quand il dit quelque part ’ : c< Nos pères nous ont transmis, avec la connaissance de leurs personnes, celle de leurs habits, de leurs coiffures, de leurs « armes offensives et défensives, et des autres ornements qu’ils ont aimés « pendant leur vie. Nous ne saurions reconnaître cette série de bienfaits « qu’en traitant de même nos descendants. »

JnLE3 JANIN.

’ Df lu Moilt. cliapitre XIII.