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à se remplir. Madame de Marne était assise, au fond du dernier, sur un fauteuil doré, el, comme une reine présidant sa cour, à la lèle d’une ellipse de femmes couvertes de gaze, de fleurs et de diamants, elle se tenait aussi raide que possilile, et ne laissait (|ue lentement tomber de sa bouche (juelques rares paroles déjà empreintes de la réserve dipIoniatii|ue du ministère des affaires étrangères, où le lendemain elle allait l’aire son entrée. Ne promenant autour d’elle que des regards protecteurs ou dédaigneux, madame de Marne essayait de faire de la dignité ; elle se posait dans sa nouvelle qualité d’astre au firmament du pouvoir. Petite, mais parfaitenioul faite ; blanche, rose et jolie malgré l’irrégularité de ses traits, elle eût été une très-gracieuse femme sans le ridicule de ses prétentions aux grands airs. A la vue du comte, son visage resplendit d un indicible redoublement de satisfaction orgueilleuse, et elle cadença sa voix d’une façon nouvelle

(( Toutes les personnes présentées par vous, monsieui’ le comte, dit-elle en lui jetant un de ses plus aimables sourires, seront toujouis bien leçues chez nn)i. u Puis s’assouplissant un peu :

(I J’espère que monsieur le duc me fera l’honneur de venir au ministère oii ji’ recevrai maintenant régulièrement tous les mercredis. »

A peine le duc a-t-il le temps de répondre à la gracieuse invitation, qu’un Ilot de in)uveaux survenants vient s’incliner devant madame de Marne. Au retentissement de leurs noms bien plébéiens, elle a repris sa raidiui’, changé de voix, et regaidé le duc d’une façon qui signilie : — l’ardon, mais c’est une obligation imposée au pouvoir ; l’épidémie de l’égalité a confondu tous les rangs, il faut recevoir tout le monde. « A quelle famille appartient madame de Marne’ ? demande le duc au comte, en se retirant avec lui dans un angle du salon.

— Ma foi, je le sais à peine. Les grandes dames d’aujourd hui viennent de partout, sortentde toute greffe. Celle-ci, je crois, est lilled’iin forgeron du Berri, devenu grand iniliistriel, comme ou appelle maintenant tous les rustres enricliis. ^ Ce (jue c’est que d’être étranger, lit en rougissant la tieité allemande du duc ; je m’étais complètement troujpé sur la valeurdu mot (jniiKlf tlnmr ; je croyais qu’il fallait être de giande naissance p(Uir être grande dame.

— C’est-’a-dire que vous le preniez dans son ancienne et véritable acception. Mais tenez, la foule augmente, on étouffe ici ; c’est un vrai laoïtl dans toutes ses splendeurs ; cinq cents personnes là où trois cents seraient déj’a les unes sur les autres ; nous ne pouvons plus nous iap|>rocher de madame de Maine, et il n’y a umyen de rien observer dans une cohue pareille. Venez, voici la porte du bcuidoir ouverte. Nous y serous seuls, je vais vous expli<]uer ce que signilie maintenant le mot grande dame. Sachez d’abord que la vraie grande d.ime, celle d’autrefois, ne peut plus existei’ en France dans notre époqm^ qu’on veut appeler de fusion, et (|ui n’esl qu’un temps de déplorable ou grotesque confusion, [importée par la terrible tourmente de 95, broyée sous les ruines de la vieille umnarchie, elle a dû aller achever de mourir sur le sol de l’émigration, ne poLivant Iransniellre a ses tilles que quehpu’s-uns des débris Ironcpiés du magnilicpie liériliige qu’elle avait reçu de ses aïeux ; les autres, épars, divisés, subdivisés, sont devenus le patriuniine de la fortune (pii seule les