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Alors un ccliange suppose d’exploits s’étaMit entre Pierre et Paul, qui se trouvent, au bout d’un certain temps, avoir soutenu un procès en règle sans s’en douter aucunement. Singuliers plaideurs, qui, sans cesser d’être d’accord, ont lutté dans l’arène judiciaire jusqu’à l’épuisement complet de leurs forces, c’est-à-dire des condiinaisons procédurières !

Enfin, lorsqu’il ne manque plus que le jugement, l’avoué, qui se garderait bien de soumettre ces ridicules moyens à l’appréciation du tribunal, rédige et fait accepter un jugement de forme ordonnant (pie la maison sera vendue ; apiès quoi il touche le prix des deux procédures, non sans modcrcr ses honoraires. Modérer est un mot usité. L’avoué a toujours modéré, même lorsqu’il vous présente le mémoire le plus exorbitant. C’est un autre enragé de modération.

Voilà par quels ingénieux piocédés l’avoué de Paris, tout en modcraiil ses honoraires, marche à la fortune d’un pas aussi sùi’ que rapide. Et notez bien (|uc j’en ai seulement choisi quelques-uns entre mille, presque au hasard. Après douze années d’exercice, d’aitence d affaires et de ventes judiciaires qui lui suffisent communément pour se créer trois ou quatre cent mille francs d’économies, l’avoué cède sa charge à un maître-clerc, qui lui paie à peu près autant pour avoir le droit de recommencer, pour son propre compte, la même exploitation. L’avoué se retire ainsi, riche de trente à quarante mille francs de rente. Il continue d’habiter Paris pendant l’hiver, et la campagne pendant l’été. Alors il ne sait plus que manger, boire, digérer et dormir ; c’est désormais un homme de loisir. Il s’abonne au Journal des Déhatx.

il est électeur, membre d’une société philanthropique, quelquefois adjoint à la mairie, et le plus souvent juge de paix ou suppléant ; il convoite particulièrement ces dernières fonctions, parce qu’il les considère comme un marchepied pour la magistrature. Il a toujours la croix d’honneur, et rate périodiquement la députation. Cette vie inerte et placide, ou plutôt cette végétation de l’avoué retiré n’est agitée que par des crises accidentelles. Tous les deux mois (lorsqu’il n’est pas capitaine rapporteur, titre auquel ses antécédeiils judiciaires lui font une sorte de candidature), son sergent-major l’appelle, en (pialité d’oificier élu, au corps de garde, où il déclame éloquemment contre les ambitieux affamés d’or et les factieux altérés de pillage ; — tous les deux ans un huissier le convoque , en qualité de juré, à la cour d’assises, où, après avoir coin|)cndieuscment manifesté l’homme de palais en adressant mille questions aux témoins dans le prétoire, et une harangue aigumcntassée à ses confrères dans la salle des délibérations, il condamne le malheureux qui, poussé par la misère, a brisé le volet d’une boutique de boulanger pour prendre une livre de pain.

Altaroche.