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appelle la vieille amie de ina<lame Jacqucniarl. Alors, loul le monde de rire, de causer, ou plutôt de laisser causer madame Jac(|ucmarl qui en raconte de toutes les couleurs, et de prolonger le temps que l’on reste à table, alln d’avancer un peu la bouteille. Ce n’est certes pas madame Jacquemart qui se lèvera la première ; elle s’est hâtée de dire (pi’elle a laissé Nanette près de madame Lerouv jiour lui donner tout ce qu’il faut.

Il ne sayit plus, comme on voit, des mille petits soins que l’on doit prodiguer a une femme en couche. Non-scnlcmenl dans cette maison on frappe les portes avec violence de tous les côtés, mais il monte jusqu a l’entre-sol habité par raccoucliée une forte odeur de fumée de tabac, vu que M. Leroux et les garçons fument souvent dans la boutique. Madame .lacqnemart ne fait pas plus d’attention à tout cela que madame Leroux elic-mènie. et pense aussi « qu’il faut laisser ces mignardises aux petites mijaurées dont les nerfs ne supportent rien. »

Le (ait est que la mère et l’enfant se portent a merveille, que madame Leroux se lève le quatrième jour, descend à son comptoir le dixième, cl que celle décade écoulée, madame Jacquemart se trouve libre d’aller porter ses soins précieux dans d’autres parages.

La tonne de madame Jacquemart est toujours très-soignée, et pourtant, comme elle dit, sa toilette est faite en un clin d’œil. Elle a serin d’ajouter assez souvent qu’il en était de même ipiand elle était jeune et jolie, ce qui fait remarquer qu’un certain embonpoint lui maintient un reste de fraîcheur qui autorise ses prétentions a la beauté ; s’il arrive alors qu’une pereonne obligeante lui dit que dans sa jeunesse elle devait être fort séduisante, madame Jacquemart s’incline d’un air tout a fait coquet, et bien que ce compliment porte sur le passé, il ne lui en fait pas moins éprouver une petite émotion agréable.

Le travail d’esprit le plus réjouissant pour madame Jacquemart, c’est de calculer de tète à quel total la somme qu’elle a placée dans le mois, et celle qu’elle placera dans le mois suivant, porteront son avoir, en y joignant l’intérêt du loul pendant une, deux ou trois années, selon qu’elle a Tle temps pour suivre son opération arithmétique. Ce calcul a le double avantage de l’occuper dans ses heures de désœuvrement, et de porter sa pensée sur le temps heureux on elle pourra jouir enfin du fruit de ses longues veilles. Elle se voit alors, possédant un honnête revenu, vivre chez elle en dame et maîtresse, dans la douce société de M. Jacquemart, servis tous deux par une bonne dont elle saura bientôt perfectionner les talents pour la cuisine : se mettant à table à l’heure qui lui conviendra, se couchant, se levant selon sa fantaisie ; en un mol, dans la silnalion prospère d’une femme qui a fait sa forlune. Ce rêve de son avenir l’aide ’a supporter tout ce que son état présent peut avoir de pénible, au point qu’un grand nombre d’années se passent avant qu’elle se décide a le réaliser : des engagements sans Un qui se succèdent, le désir d’augmenter encore ce revenu qu’elle doit à ses peines, et peut-être le goijt de l’étrange manière de vivre dont elle a contracté l’habitude, tout fait qu’elle atteint un âge fort avancé sans goûter ce repos qu’elle croit ambitionner, et qu’elle n’a jamais connu qu’en perspective. Enlin. un jour elle quille le logis d’auiiul poii entrer dans le sien.