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12-i l,KS COLLECTIONNEURS.

Il Vous xoila bien belles, dit-il , en s ailiessaiilîi ses lasses jjleues. vous voila bien « (ières ; oui , vous portez sur vos flancs les cliainianls poi tiails des plus agréables •I femmes de votre jeunesse ; le loi Louis XV a voulu que l’on vous décorât des " ligures de ses maîtresses les plus chères ; il n’eût certes pas confié de si adorables « images "a de la pâte duie. Oh ! non : il fallait toute la finesse, tout l’onctueux, tout « le moelleux de votre pâte tendre, ô mes chères petites coquettes, pour recevoir 11 dignement le visage délicieux de madame de Chàteauroux , celui non moins gra-II cieux de la marquise de Pompadour, et les traits fins, spirituels et aga( ;ants de la Il marquise Du liarry. i>

Ainsi enfermé, ainsi causant, jouant avec ses belles porcelaines de pâte tendre , M. de Menussard est le plus heureux des hommes. Il se meta genoux devant elles, il les adore, il les aime d’un amour profond, et , plus onthousiasti". plus poêle ([ue Pygmalion, il ne voudrait }(ointaninier sa (ialatliée ; il ne lui trouve jioint une imperfection :

l’animer serait la décompléter, lui ôler son charme. Sa Galathée, a lui, in) 

vieillira jamais : les femmes peintes sur ses lasses seront toujours jeunes ; les bouquets fixés sur ses vases et ses assiettes seront toujours frais et verdoyants ; rien de tout cela n’aura de décrépitude : l’avenir sera comme le présent. Pygmalion , insensé dans ses désirs, créa la vieillesse, les rides, les cheveux blancs et la mort pour l’objet de son culte d’amour, en demandant aux dieux de lui donner la vie. M. de Menussard se complaît dans linsensiliililé de sa maîtresse, dans la matérialité de son idéalisation. Il lui prête toutes les grâces qu’il veut lui trouver : il lui témoigne un amour passionné, qu’il sait emplir de sacrifices, il jette en holocauste devant la pâte tendre de Sèvres, d’abord cela va sans qu il soit besoin de le diie, la pâte dure, sa sœur, et la porcelaine "a la reine, sa cousine ; mais encore le vieux Japon, le vieux Chine , le vieux Saxe, et jusqu’à l’admirable terre de Bernard de Palissy, jusqu’à la terre italienne de Faênza, aux riches iieintuies, aux décorations raphaélesques, jusipiaux bas-reliefs de faïence de Lucas délia Kobbia.

Il ne connaît qu’une seule chose, n’aime, n’adore, ne chérit, ne vénère qu’une seule chose, c est la ])âte tendre de Sèvres : le reste du monde peut s’écrouler, s’abîmer, il n’y fera pas attention. Jamais il ne lit un journal ; il n’est point éligible, ni électeur, ni garde national, ni quoi que ce soit : il est l’amant de la pâte tendre de .Sèvres. Cette passion de la collection, cette folie, celte idolâtrie pour la pâte tendre de Sèvres, ont pour ainsi dire exilé de l’espèce humaine, de sa confialernilé et des sentiments humains M. de Menussard . l’ont rendu égoïste, dur et inflexible dans ses résolutions, avare pour tout ce qui n’es ! pas pâte tendre de Sèvres. Il n’a aucune pitié des pauvres : le récit d’une grande infortune ne tirera pas une larme de ses yeux ; il verrait biùler loul un quartier de la ville <|u’il ne bougerait ])as de chez lui et qu’il n en piendrait aucune émotion ; mais si une de ses tasses, un de ses vases , mie de ses assiettes, venait à se briser, ses paupières se baigneraient de larmes : des sanglots, des plaintes, sortiraient de sa poiliine ; il trouverait en son cœur des trésors de poésies pour dé|ilorer la perle de sa tasse, de son vase ou de son assiette, cl s’étonnerait que le monde entier restât indifféieni a ce malheur : il sérail capable de Iner un homme qui dc'>M nirail la inoiiiibe de ses richesses de pâle lendic.