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Il( ; LA FlGCRANTi :.

s’en servir par uii mouvenieiii iiialteiidu, lejeler quelquefois même sur elli’, selon leur caprice, la mauvaise humeur que leur a causée la sévérité du public. La tigurante est leur hochet. (Ju’ils s’en amusent comme une pensionnaire de sa poupée, si cela leur fait plaisir : c’est un tonton d’une docilité extrême. Au lieu de se plaindre, elle regardera chacune des agressions dont elle sera l’objet comme un honneur insigne. On n’a pas oublié ce mot d’une ligurante au bon temps de la Comédie-rrançaise. C’était a la fin d’un entr’acte. En rentrant dans la coulisse , elle manifestait au milieu de ses camarades une joie inaccoutumée.

Il D’où le vient donc tant de gaieté ? lui demanda l’une d’elles.

— Ah ! s’erapressa-t-elle de répondre, c’est bien naturel : M. Sainl-Priv vient de me marcher sur le ])ied ! »

Bien que la ligurante soit née dans les couches inférieures de la société , il arrive parfois, je ne vous dirai pas comment, mais cela arrive, qu’elle se trouve tout ii coup posséder toutes les délicatesses du confort. En ce cas, rien de ce qui fait, a Paris, la vie douce et heureuse pour les jolies femmes ne manque a ses désirs. Cachemires, boas, riches écrins, cristaux, tapis, calèches, livrée, groom, tout ce qui séduit, tonl ce qui enivre, elle accepte tout cela, sauf "a se voir forcée d’y renoncer dans un temps prochain. D’habitude, ses bonnes fortunes sont rapides comme l’éclair ; c’est tout au plus si elle a eu le loisir d’oublier un instant sa petite toilette d’autrefois : ce tartan rouge rayé avec lequel elle mourra, ses brodequins noirs, une robe d’indienne, un chapeau de satin passé et une chaîne en similor. Redevenir pauvre ne lui coûte pas beaucoup. Alors adieu au protecteur qui la combla de èadeaux. L’oiseau revient a son premier nid. Vive la joie que personne n’achète ! Vive l’amour pour tout de bon avec un flacon de pomard ou une bouteille de blond ch.îblis ! Fi des grandes parures qui asservissent ! Tombent ces marabouts qu’il faut payer avec de menteuses caresses !

Voila le lit de plume, un peu dur, mais où l’on dort si bien ! Voilà l’étroite 

mansarde d’où l’on avoisinc les astres !

Pour la figurante qui reconquiert son indépendance , c’est toute une révolution à accomplir. Du premier étage elle grimpe au cinquième au-dessus de l’entre-sol , h deux cents pieds au-dessus du nive ;ui de la Seine. C’est un peu haut. Bah ! la coquette passe devant. Sa jambe est si Une ! Que le ciel la protège ! Ce n’est pas qu’il faille tant la plaindre de cette libre misère. Une fois de retour dans sa cellule si proprette "a la fois et si modeste, elle n’est pas en peine de se trouver du bonbeui’ |>our longtemps. Avec un oiseau chanteur, on trouve dans un coin de sa demeure une colonie de vers a soie qu’elle prend plaisir ’a élever de ses propres mains, et puis sous sa fenêtre s’épanouissent les plantes et les fleurs les plus aimables. Il y a là une petite forêt de roses qui la regardent d’un air amoureux ; un pol de réséda jette ses arômes au vent. On y voit encore de rouges œillets aux parfums humbles et suppliants , et des clématites qui montent le long du mur jusqu’à elle , e( foni presque irruption dans sa chambre, comme une idylle qui la |i(inrsuil. V.n regardant bien , vis-à-vis un petit fichu de Baréges suspendu à la croisée en guise de rideau . on trouve encore une guitare casiillane, à l’aide de laquelle la pauvre recluse module les cantilènes de M"’ Loïsa Puget, ou les l’omanees édievelées d’ilippolyle IMonpou.