Lucifer, en effet, venait d’arriver. Il s’assit dans son fauteuil ; son chambellan pris place à côté de lui. Deux chandelles, deux carafes pleines d’eau et quatre bouteilles pleines de vin étaient rangées en ordre au-devant du trône infernal. Les tables destinées aux démons subalternes étaient garnies de même, à peu de chose près. Au bout de quelques minutes, Lucifer se leva. C’était un petit bon diable de cinq pieds un pouce environ, replet, dodu, bien nourri, au teint vermillonné, aux yeux vifs et fins. Il portait d’ailleurs des lunettes, mais ni queue ni cornes, et je remarquai très-distinctement qu’il avait comme tout le monde des ongles aux doigts et non des griffes. Quant à ses sujets, ils ressemblaient en tout point aux bergers de Syracuse et paraissaient fort contents de leur prince et de son gouvernement. Lucifer promena sur l’assemblée un regard magnétique et quelque peu phosphorescent.
« Attention ! » me dit Némorin.
Lucifer frappa sept coups sur la table placée devant lui.
« Les cornes à l’air ! » dit le chambellan.
C’était l’ordre de se découvrir. Quelques personnes qui avaient encore leur chapeau sur la tête s’empressèrent de l’ôter et de le placer, comme elles purent, aux clous plantés dans la muraille. Ceci fait, Lucifer daigna parler ainsi :
« Démons, démonesses, sorciers et sorcières, Lucifer vous annonce que le sabbat est commencé. Que chacun donc vide son chaudron, trousse son linceul, et batte avec moi le triple ban d’ouverture. »
À l’instant, tous les verres furent vidés à la fois, les nappes relevées devant chaque convive, et l’air : Vive l’enfer où nous irons, battu à tour de bras et à coups de verres sur les tables de sapin. Pas une note n’avait été faussée ; Lucifer parut en éprouver une satisfaction profonde, et sa majesté infernale voulut bien en féliciter les concertants, qu’elle appela dans cette occasion : « Mes chers camarades ! » Lucifer ordonna ensuite de rebaisser les linceuls et de remplir de nouveau les chaudrons.
« Baissez votre nappe et remplissez votre verre, me dit à l’oreille mon ami Némorin-Kosby ; c’est l’ordre. »
Lucifer porta alors le toast que voici :
« Aux démons et démonesses qui font la gloire de notre enfer ! aux sorciers et surtout aux aimables sorcières qui veulent bien venir rôtir le balai avec nous ! À l’espoir que la gaieté la plus franche ne cessera jamais d’animer notre sabbat !… »
Tout le monde était debout, la tête nue, le verre à la main et n’attendant plus qu’un mot pour exécuter la volonté de Satan.
« Videz ! » cria-t-il.
Et encore une fois les verres furent vidés. Un nouveau ban fut battu, semblable au premier, et les chants commencèrent. Dès lors, et malgré la chaleur étouffante qui pesait sur cette immense réunion de démons et de sorciers, on songea beaucoup moins à boire qu’à écouter les chansons et à en répéter les refrains. Lucifer chanta le premier ; à tout seigneur tout honneur. Sa chanson était gaie, spirituelle, bien tournée, et je n’appris pas sans étonnement que l’auteur de cette charmante production était sa majesté elle-même. Lorsque Lucifer eut fini, il poussa dans l’air un sifflement aigu qu’il est impossible de traduire positivement, mais qui ne ressem-