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fait couper jusqu’à la tête même, s’il avait pu vivre sans tête. Voilà ce que c’est que le sentiment de notre dignité. Voilà la force qu’il a chez ceux qui ont l’habitude de le faire entrer en ligne de compte dans leurs délibérations. — « Va donc, Épictète : fais-toi raser. — Si je suis philosophe, je réponds : « Je ne me ferai pas raser. » — Mais je t’enlèverai la tête. — « Enlève-la, si cela te semble bon. »

Quelqu’un lui demandait : « Comment sentirons-nous ce qui est conforme à notre dignité ? » — Comment le taureau, dit-il, à l’approche du lion, sent-il seul la force qui est en lui, et se jette-t-il en avant pour le troupeau tout entier ? Il est évident que dès le premier instant, avec la force dont il est doué, se trouve en lui le sentiment de cette force. Eh bien ! de même chez nous, nul de ceux qui seront ainsi doués ne restera sans le savoir. Mais ce n’est pas en un jour que se fait le taureau, non plus que l’homme d’élite ; il faut s’exercer et se former à grand’peine, et ne pas s’élancer à l’étourdi vers ce qui n’est pas de notre compétence.

Vois seulement à quel prix tu vends ton libre arbitre. Au moins, mon ami, vends-le cher. — « Ce prix élevé et exceptionnel convient peut-être à d’autres (diras-tu), à Socrate et à ceux qui lui ressemblent ? — Pourquoi donc, puisque nous naissons tous semblables à lui, un si petit nombre plus tard lui sont-ils semblables ? — Tous les chevaux deviennent-ils donc rapides, et tous les limiers bons chasseurs ? — Eh bien ! parce que je suis d’une nature ingrate, faut-il me refuser à tout effort ? à Dieu ne plaise ! Épictète n’est pas