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fièvre, et tout le monde me plaint d’avoir la fièvre. « Malheureux! me dit-on, voici tant de temps que la fièvre ne te quitte pas. » Et je dis à mon tour, en prenant un air chagrin: « Oui, en vérité, voici bien longtemps que je suis malade. » — « Et qu’arrivera-t-il? » — « Ce que Dieu voudra. » Et en même temps je ris tout bas de ceux qui me prennent en pitié. Eh bien! qu’est-ce qui empêche de faire de même pour ce qui nous occupe? Je suis pauvre, mais j’ai de la pauvreté une opinion juste; que m’importe alors qu’on me prenne en pitié pour ma pauvreté! Je ne suis pas niagïstrat, et d’autres le sont, mais je pense des magistratures et de la vie privée ce qu’on en doit penser; c’est à ceux qui me plaignent de faire attention à ce qu’ils pensent. Je n’ai pour ma part ni faim, ni soif, ni froid, mais eux, parce qu’ils ont faim et soif, s’imaginent qu’il en est de même de moi; que puis-je leur faire? Vais-je parcourir la ville, et proclamer à la façon d’un crieur public: « Hommes, ne vous y trompez pas: je ne m’inquiète ni de ma pauvreté, ni de ma condition privée; je ne m’inquiète absolument que d’une seule chose, de penser juste. Voilà ce qui dépend de moi, et je ne m’occupe pas du reste. » Qu’est-ce que ce serait que ce bavardage? Et comment aurais-je des idées justes, moi qui ne me contenterais pas d’être ce que je suis, et me tourmenterais pour le paraître?

— Mais d’autres obtiendront plus que moi de richesses et d’honneurs! — Eh bien! quoi de plus rationnel que de voir ceux qui ont travaillé en vue d’une chose, avoir plus de cette chose en vue de laquelle ils ont travaillé? Ils ont travaillé pour être