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« Voici le moment de mourir. — Comment dis-tu ? — De mourir. — Point de déclamations : dis que voici le moment, pour la substance, de se décomposer dans les éléments dont elle a été composée. Et qu’y a-t-il là de terrible ? » (L. 4, ch. 7.)


La décomposition de tout notre être à la mort, et l’absorption des éléments de l’intelligence humaine dans l’intelligence universelle (puisque l’âme est air, ou que l’air est l’âme, suivant la physique stoïcienne), sans nulle conservation de la personnalité, et sans rien à espérer ni à craindre d’une autre vie, voilà bien le dernier mot de la doctrine d’Épictète ; et c’est là que nous paraît vraiment être son côté faible.

Épictète nous mesure le temps ; il nous enferme dans la vie ; il refuse à nos facultés ce complément de développement qu’elles appellent de toute leur force ; pour justification dernière de la Providence, il nous jette ce mot : « Elle n’a pu mieux faire ; » il nous interdit l’espérance ; il coupe les ailes à ces aspirations vers l’infini qui sont comme le fond de notre nature : l’humanité qui a besoin d’espérer, l’humanité qui étouffe entre les barreaux de fer des nécessités de l’ensemble, ne sera jamais stoïcienne, malgré les adoucissements que le grand cœur et le bon sens d’Épictète lui ont fait mettre à l’ἀπάθεια. Combien le Christianisme est plus pratique, quand, pour nous détourner de ces biens matériels, dont les attraits