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loir. Eh bien! cette faculté, quand elle reconnaît qu’elle intervient dans toutes les autres, et que celles-ci, sourdes et aveugles, ne peuvent s’entendre à autre chose qu’aux actes mêmes dans lesquels elles sont destinées à être ses subordonnées et ses servantes, tandis que seule elle voit clair, et sait apprécier la valeur de chacune des autres, pourrait-elle nous dire que ce qu’il y a de meilleur en nous ce n’est pas elle? Qu’est-ce que sait faire l’œil tout grand ouvert, si ce n’est de regarder? Mais qu’est-ce qui nous dit s’il faut regarder la femme d’un autre, et comment on doit la regarder? Notre faculté de juger et de vouloir. Qu’est-ce qui nous dit s’il faut croire ou rejeter ce qu’on nous débite, et, quand nous le croyons, nous en émouvoir ou non? N’est-ce pas notre faculté de juger et de vouloir? Et cet art de la parole, qui sait si bien arranger les mots (en supposant qu’il y ait là un art spécial), que fait-il, quand nous avons à parler de quelque chose? Il arrange et dispose les mots, comme les coiffeurs les cheveux. Mais, vaut-il mieux parler que de se taire; vaut-il mieux parler dans ce sens ou dans cet autre; ceci est-il séant ou ne l’est-il pas; quel est le moment de placer chaque mot; quel est son emploi légitime: qui nous dit tout cela, si ce n’est notre faculté de juger et de vouloir? Voudrais-tu donc qu’elle vînt prononcer contre elle-même?

Eh bien! disait Epictète, si les choses sont telles, ce qui sert peut-il être supérieur à celui qui s’en sert? Le cheval, supérieur au cavalier? Le chien, au chasseur? L’instrument, au joueur de lyre? Les serviteurs, au roi? Or, en nous, qu’est-ce qui se sert du