Le monde est comme une grande foire, où l’on amène des bêtes de somme et des bœufs pour les vendre ; et où la plupart des gens viennent pour acheter ou pour vendre ; bien peu, pour se donner le spectacle de la foire, pour voir comment les choses s’y passent, en vue de quoi elles se font, quels sont ceux qui l’ont établie, et pourquoi ils l’ont fait. Ainsi en est-il de la grande foire de la vie : bon nombre de gens, semblables aux bêtes de somme, ne s’y occupent d’autre chose que du fourrage. Car, vous tous qui ne vous occupez que d’argent, de terres, d’esclaves et de magistratures, il n’y a dans tout cela que du fourrage. Bien peu parmi les hommes qui sont rassemblés ici, ont la curiosité d’examiner ce qu’est ce monde, et qui le gouverne. N’y a-t-il donc personne qui le gouverne ? Comment serait-il possible qu’une ville ou une maison ne pussent subsister un seul instant sans quelqu’un qui les administrât et les conduisît, et que ce grand et magnifique ensemble fût maintenu dans un si bel ordre par les caprices du hasard ? Il y a donc quelqu’un qui le régit. Quel est ce quelqu’un, et comment le régit-il ? Qui sommes-nous, nous qui sommes nés de lui, et qu’avons-nous à faire ? Y a-t-il un lien entre lui et nous ? Sommes-nous, ou non, en rapports avec lui ? Voilà les pensées de ce petit nombre, qui ne songe d’ailleurs qu’à une chose, à quitter la foire après l’avoir bien regardée. Mais quoi ! le vulgaire se moque d’eux ! C’est qu’en effet, à la foire, les marchands se moquent des simples spectateurs ; et que les bêtes de somme, si elles avaient l’intelligence, se moqueraient de ceux qui attachent du prix à autre chose qu’au fourrage.
Page:Les Entretiens d’Épictète recueillis par Arrien.djvu/200
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.