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dire qu’il est autre chose encore, et non pas une seule chose, mais plus d’une. Avant tout, je l’appelle un étranger, et je dis: « Cet homme ne connaît pas le pays où il est ; depuis si longtemps qu’il vit parmi nous, il ignore les lois et les habitudes de notre cité, ce qui y est permis, ce qui y est défendu ; et il n’a jamais pris un jurisconsulte pour lui apprendre et lui expliquer nos institutions. Eh quoi ! s’il ne savait pas rédiger un testament, il ne le rédigerait pas sans prendre quelqu’un qui le sût ; il ne s’aventurerait pas davantage à signer une garantie ou à écrire un engagement ; et le voilà qui désire, qui craint, qui se porte vers les choses, qui s’efforce, qui entreprend sans l’aide d’aucun jurisconsulte ! » Et comment puis-je dire qu’il le fait sans l’aide d’aucun jurisconsulte ? C’est qu’il ne sait pas qu’il veut ce qu’il ne lui est point donné d’avoir, et qu’il se refuse à ce qu’il ne peut éviter ; c’est qu’il ne sait pas non plus ce qui est à lui et ce qui ne l’est point. Or, s’il le savait, il n’y aurait jamais pour lui ni embarras ni contrainte, ni inquiétude. Comment y en aurait-il en effet ? Redoute-t-on ce qui n’est pas un mal ? Non. Mais quoi ! redoute-t-on le mal lui-même, quand il est en notre pouvoir de l’empêcher ? Nullement. Si donc les choses dont nous n’avons pas le choix, ne sont ni des biens ni des maux ; si celles dont nous avons le choix dépendent toutes de nous ; si personne ne peut nous les enlever, non plus que nous les imposer quand nous n’en voulons pas, quelle place y a-t-il encore pour l’inquiétude ? Ce qui nous inquiète, c’est notre corps, c’est notre bourse, c’est l’opinion de César ;