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comme regardent les esclaves qui ont fui de chez leur maître. Il faut rester assis à écouter sans distraction tantôt l’acteur tragique, tantôt l’acteur comique, et non pas faire comme font ces derniers. Ils entrent, ils applaudissent l’acteur, et en même temps ils regardent de tous les côtés ; et, si quelqu’un prononce le nom de leur maître, les voilà qui se troublent et qui tremblent. C’est une honte pour les philosophes que de regarder ainsi les œuvres de la nature. Car qu’est-ce qui est leur maître ? Ce n’est pas l’homme qui est le maître de l’homme, mais la mort et la vie, mais le plaisir et la peine. Amène-moi en effet César sans ce cortège, et tu verras comme je serai brave ! Mais, quand il vient avec ce cortège, quand il vient tonnant et lançant la foudre, et que tout cela me fait peur, puis-je ne pas reconnaître en lui mon maître à la façon des esclaves fugitifs ? Quand j’ai de ce côté un moment de répit, je suis dans la vie comme l’esclave fugitif au spectacle : je me lave, je bois, je chante ; mais le tout en tremblant et bien tristement. Mais que je m’affranchisse de tous les tyrans, c’est-à-dire de tout ce qui me rend les tyrans redoutables, quel ennui, quel maître puis-je avoir encore ?

Quoi donc ! faut-il proclamer ces idées devant tout le monde ? Non ; mais il faut avoir de l’indulgence pour les ignorants, et dire : « Cet homme me conseille ce qu’il regarde personnellement comme un bien ; je le laisse faire. » Socrate laissa faire le gardien de la prison, qui pleurait quand il allait prendre le poison, et il dit : « Avec quel bon cœur cet homme nous pleure ! » Lui dit-il : « Nous