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de l’homme, et s’imagine que c’est un bien d’avoir de beaux vêtements ; ce que tu crois toi-même ; et il ne viendrait pas te les prendre ! Tu montres un gâteau à des gourmands, et tu le manges seul ; et tu veux qu’ils ne te l’arrachent pas ! Ne les tente pas ; n’aie pas de fenêtre ; ne mets pas à l’air tes vêtements. Moi, avant-hier, j’avais une lampe de fer devant mes dieux pénates ; j’entendis du bruit à ma porte ; je courus, et je trouvai qu’on avait enlevé ma lampe. Je me dis que celui qui l’avait volée n’avait pas fait une chose déraisonnable. Qu’arriva-t-il donc ? Je dis : « Demain tu en trouveras une de terre cuite. » On ne perd jamais que ce que l’on a. « J’ai perdu mon manteau ! » — C’est que tu avais un manteau. — « J’ai mal à la tête ! » — Est-ce que tu as mal aux cornes ? Pourquoi te fâcher ? On ne perd que ce que l’on a ; on ne souffre que dans ce que l’on a.

Mais le tyran va mettre dans les fers ?… — Quoi ? ta jambe. — Mais il va m’enlever ?… — Quoi ? la tête. Qu’est-ce qu’il ne pourra ni mettre dans les fers ni t’enlever ? Ton libre arbitre. C’est là précisément la raison du précepte ancien : « Connais-toi toi-même. » Il fallait, par tous les dieux, t’exercer dans les petites choses, commencer par elles, pour passer à de plus grandes. — « La tête me fait mal. » — Ne dis pas, hélas ! — « L’oreille me fait mal. » — Ne dis pas, hélas ! Je ne prétends point qu’il ne t’est pas permis de pousser un gémissement ; mais ne gémis pas dans ton for-intérieur. Si ton esclave est lent à t’apporter tes bandelettes, ne crie pas, ne te mets pas hors de toi, ne dis pas : « Tout le monde me hait ! » Qui, en effet, ne haïrait pas un pareil indi-