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les moyens de vivre convenablement. Voici des lettres de recommandation pour Pétersbourg. Elles peuvent te procurer des relations agréables, et aplanir ton chemin. En tous cas, souviens-toi que tu trouveras toujours en moi un père et un ami.

À ces mots, mon généreux protecteur pleura, et tous, nous pleurions avec lui.

Ce jour-là est resté avec un caractère sacré dans ma mémoire. Ce jour-là, Pauline et moi, nous nous jurâmes un amour éternel.

Et, comme un aigle s’élance vers les nues, je m’élançai vers Pétersbourg, avec des rêves ardents de gloire et d’amour.

J’ai passé là trois ans. La pension qui m’était faite suffisait à peine pour payer mon uniforme, et m’empêcher de périr de chaud ou de froid. Les lettres de recommandation qui devaient m’être si utiles n’aidèrent seulement à me faire entrer au service. Je fus astreint à un travail pénible, que nul plaisir n’égayait. Mes illusions se dissipèrent promptement. Je vécus seul et tombai dans un état de sauvagerie.

Enfin, après cette longue épreuve, je retournai à Moscou et je la revis. Dans cet espace de trois années, quel changement s’était opéré en elle ! À la place de la vive, de la pétulante enfant dont j’avais partagé les jeux, je retrouvais une charmante personne qui faisait l’ornement des meilleures sociétés. Mais alors je me sentis gauche, laid, embarrassé devant elle. Je voyais en elle la belle, l’aimable, la brillante fille d’un homme riche, et moi je n’étais