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beau ; et il y aura même les élèves, hélas, et il faut qu’il y en ait. Tout cela n’est point l’amitié. L’amitié est une opération charnelle qui se fait une fois dans la vie. Et qui ne se recommence pas. Je veux dire qu’elle est essentiellement une opération terrienne, une opération de date, une opération temporelle qui se fait, qui s’inscrit une fois, dans une certaine terre, à une certaine date du temps de la vie. C’est une de ces opérations qu’il n’est point donné à l’homme de recommencer, de faire deux fois, d’imiter, de feindre, de controuver, de forger, de faire comme si. C’est une de ces opérations qui ont dans la vie de l’homme, dans la carrière de l’homme une valeur unique, un prix incommutable et non interchangeable, un prix unique, un prix inévaluable, sans équivalent, sans contre-partie possible, et pour ainsi dire un prix sans prix. C’est une opération de l’ordre du berceau, de la famille, de la race, de la patrie, du temps, de la date, de tout cet ordre temporel, d’une importance unique, irremplaçable, où l’opération ne se fait qu’une fois.

Car il faut pour la déterminer un recoupement, une intersection : entre la ligne ascendante, verticale, de la race et la ligne horizontale du temps.

Toute amitié, pour chaque homme, est comme une promotion. Elle s’obtient en coupant une certaine race, une certaine histoire, qui monte, à chaque fois par un certain temps, par une certaine date, qui barre.

Et quand on la manque et dans la mesure où on la manque (et on la manque toujours en quelque mesure, comme toute opération humaine) on ne la recommence pas davantage ; ça compte pour joué ; on n’a tout de même que cette fois-là.