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mêmes paroles, dans le même moule il entendait ceci : de l’histoire. Dans le même temps il m’entendait déjà comme un homme d’un autre temps. (Dans le même temps pour moi, car ce temps, qui était le même temps pour moi, pour lui au contraire, pour lui étrangèrement s’analysait aussitôt, se décomposait en un temps autre, en un temps étranger ; en un langage autre, en un langage étranger.) Il m’entendait en un langage étranger. C’est dire, hélas, qu’il ne m’entendait pas du tout. Et même moins. Et ce qu’il y a de merveilleux, et qui fait qu’on n’en sortira jamais, c’est que ce langage aussi parfaitement étranger correspond naturellement jusque dans ses moindres éléments. Au langage du réel. Il correspond mot pour mot. Et jusque dans ses ponctuations. De sorte qu’à mesure que nous vivons un discours dans le langage du réel, à mesure on peut le jouer, le même, aussi bien, sinon mieux, et même mieux, et on le joue dans le langage de l’histoire. Ce que je nommais l’affaire Dreyfus, avec une certaine intonation, lui aussi le nommait l’affaire Dreyfus, non d’un autre mot, vous pensez bien, avec la même intonation, mais transportée seulement dans le registre du respect.

De sorte que ce qu’il y a de merveilleux, c’est que la conversation peut continuer tout le temps, sans qu’on s’entende jamais, et qu’en fait toutes les conversations continuent tout le temps, et qu’on fait semblant de se comprendre ; et que la mort déboutant promptement le réel, il n’y a bientôt plus que l’histoire qui parle ; mais elle parle toute seule entièrement substituée ; élément pour élément ; pièce pour pièce ; seulement c’est pièce inorganique pour pièce organique, élément mort et