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par l’administration d’un boulet de faible calibre il a la rotule droite brisée et le jarret gauche déchiqueté. Singulière destinée. Il ne m’appartenait pas avant, il ne m’appartient pas, il ne m’appartient plus après. Avant quoi ? Avant que d’entrer dans mon corps de volontaires. Quand il a commencé, il n’était pas encore entré dans mes contingents. Fils d’un garçon d’écurie, apprenti teinturier, on a beau dire, et nous raconter des histoires sur les petites gens, sur les petits métiers, sur l’histoire économique, sur l’histoire des petites gens et des petits métiers, sur l’histoire du travail, je ne connais pas ce Jean Lannes. Vous avez beau faire, il n’exerçait pas un métier historique. Vous avez beau faire des manuels. Et créer des chaires. Il y aura toujours des métiers historiques et des métiers non historiques. Mais il y a un Jean Lannes que je connais. C’est celui qui est de Lectoure ; il a commencé sergent-major au deuxième bataillon des volontaires du Gers. Vous demanderez de ses nouvelles au prince de Siévers. Vous savez que j’ai décidé que ceux qui contractaient un engagement dans les bataillons de la Révolution et de l’Empire et les conscrits contractaient ipso facto un engagement dans mes contingents historiques ; cela, cet engagement équivaut à un bon pour la gloire. Mes bureaux de recrutement ont beaucoup travaillé parmi ces volontaires. Ils signaient deux engagements ensemble, l’un, valable, pour la patrie ; le deuxième, valable, pour moi. Il fut longtemps des miens. C’était un homme dur. Mais je commençai de sentir que j’éprouvais le besoin de le renier quand son genou et son jarret se furent trouvés sur la trajectoire de ce boulet de faible calibre. Car il commençait de devenir ainsi suspect de vouloir devenir