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Le riche, aussi, oublie ; le pauvre et le misérable n’oublie pas.

Cette parole d’ailleurs ne répondait que trop à cet instinct profond. Et la maladie et la mort de Bernard-Lazare lui donnait non point une valeur épisodique, supplémentaire, mais plus qu’une valeur symbolique, une valeur tragique, une valeur aiguë, temporellement tragique, une sanction, temporellement, corporellement, charnellement saisissable.

Des témoignages mêmes de ce grand Bernard-Lazare j’aurais honte de les reproduire, de les introduire ici. Tant ils sont demeurés saisissants. Le temps de ces témoignages n’est point encore venu. Il viendra. Le temps des confessions n’est point encore venu. Ce sont des témoignages terribles. Ce prophète, prophète du malheur, au moins du malheur temporel, comme tous les véritables prophètes, eut l’amertume infinie, au moment même et dans les antécédences de la mort, de mesurer du regard, de ce regard d’une infinie bonté, d’une infinie douceur, mais d’une sûreté totale ; d’une gaieté infinie, infiniment et amèrement amusé du scandale même, mais d’une clairvoyance de sang-froid terriblement infinie ; cette abhorreur, cet abîme de barbarie et de lassitude, de corruption publique et politique où depuis nous descendons infatigablement, où nous roulons de cercle en cercle.

Et non seulement infatigablement ; mais, à ce qu’il semble, avec une vitesse qui s’accélère.

Ces témoignages viendront. Ils sont encore trop terribles. Il faudra un jour arrêter arbitrairement une date dans cette déchéance. C’est ce que font généralement