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venu. C’était le temps où Bernard-Lazare mourait. La banqueroute frauduleuse de l’affaire Dreyfus dans la fourberie politicienne mettait une amertume sans fond au cœur des véritables dreyfusistes. On voit qu’il y a déjà de cela beaucoup d’années. Pour qu’on puisse même parler de véritables dreyfusistes. On ne pouvait pas prévoir alors, même dans ce flot d’amertume, même dans ce coup d’éclat de la désillusion, jusqu’où irait cette déchéance, ni surtout qu’elle irait sans fin. Comme une mécanique affolée qu’elle ne s’arrêterait pas. J’étais allé le voir ce jour-là uniquement pour lui donner et lui demander des nouvelles d’une chère santé, d’un homme dont la santé nous donnait déjà les plus graves inquiétudes, pour causer je ne dirai pas seulement d’un ami commun, mais d’un homme qui était pour lui un ami plus jeune, qui était pour moi un ami, moins jeune, un confident, de toute confidence, de toute pensée, de l’un à l’autre, de l’un et de l’autre, et l’un des plus grands des prophètes d’Israël.

Le plus grand que j’aie connu, avec notre Marix.

J’étais jeune homme alors ; je n’étais pas haut de cent coudées ; novice, bien que mon instinct, un instinct profond, m’ait toujours averti contre la politique. Cette parole me frappa. Je ne l’ai certes point enregistrée pour le plaisir. L’homme qui l’a dite l’a peut-être oubliée aussitôt, l’a certainement oubliée depuis. Je ne l’oublierai jamais. Le maître, qui a beaucoup d’élèves, oublie. L’élève, qui n’a pas beaucoup de maîtres, n’oublie pas. Contrairement à ce que l’on croit, c’est le maître qui oublie l’enseignement. Et c’est l’élève qui ne l’oublie pas.