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plines, avant toutes les disciplines, elle est exposée aux dérisions, aux lacérations du primaire, mon cher Halévy, de la démagogie du primaire, de la domination du primaire.

Ce n’était pas seulement la tentation du travail. C’était aussi, c’était peut-être autant, il faut l’avouer, une tentation, une réalité de lassitude. Un grand épuisement de force et de santé, peut-être. Mais surtout un grand épuisement d’espérance, de la force la première de toutes, la plus forte de toutes, peut-être la seule forte, de la force de l’espérance. Ce n’est pas impunément qu’une génération comme la nôtre subit tant de déceptions. Non pas même tant de déceptions. Fragmentaires. Discontinues. Discriminées. Distinguées. Et dont on peut dire l’une après l’autre que ce sont des déceptions, telle et telle déception. Mais une seule déception continue, perpétuée. Presque amorphe. Gélatineuse. Indistinguée intérieurement. Étalée sur dix et quinze ans. Un désabusement perpétuel, commencé il y a dix ans par un coup d’éclat, continué incessamment depuis par une accélération, par une aggravation perpétuelle.

Un de nos abonnés, M. Salomon Reinach, me disait un jour dans son cabinet : l’Affaire Dreyfus est la plus grande escroquerie du siècle. Sans doute il n’y voyait pas, il n’entendait pas par cette phrase, par ce mot terrible, il n’y voulait pas dire tout ce que nous y mettons aujourd’hui ; autrement il eût été un peu prophète, ce qui, je crois, n’entre pas dans son système de l’histoire des religions ; et je ne veux pas surtout lui faire dire ce qu’il ne voulait pas dire ; mon intention n’est naturellement pas de le compromettre ni même de le citer comme témoin. Le temps des témoignages n’est pas encore