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n’est point que nous en ayons ni que nous en ayons jamais eu les moyens, c’est que depuis quinze ans nous travaillons très au-dessus de nos moyens. Nous ne sommes à aucun degré ni en aucun sens des amateurs. Nous sommes dans le sens le plus rigoureux de ce mot, le plus beau de tous, des professionnels. Nous travaillons d’un certain métier, d’un dur métier. Le peu que nous faisons nous ne le faisons point par amusements ni avec notre superflu, mais nous le faisons de notre chair et de notre sang, de notre substance même, et nous exerçons un métier.

Nous vivons en un temps si barbare que quand on voit des hommes imprimer des textes propres sur un papier propre avec une encre propre tout le monde se récrie : Faut-il qu’ils aient du temps à perdre ! Et de l’argent ! Nous n’avons pas de temps, nous n’avons plus d’argent, nous n’avons que notre vie à perdre. Nous avons failli la perdre ; et nous sommes exposés à recommencer.

Nous vivons en un temps si barbare que l’on confond le luxe avec la propreté. Quand un ouvrier essaye de travailler proprement, on l’inculpe de luxe. Et comme dans le même temps et de l’autre part le luxe et la richesse travaille toujours salement, il n’y a plus littéralement aucun joint par où la culture puisse ni se maintenir, ni essayer seulement de se réintroduire, ni seulement se défendre. Par où elle puisse passer. Ceux qui n’ont pas d’argent font de la saleté sous le nom de sabotage ; et ceux qui ont de l’argent font de la saleté, une contre et autre saleté, sous le nom de luxe. Et ainsi la culture n’a plus aucun joint ; où passer. Il n’y a plus cette merveilleuse rencontre de toutes les