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LES BRAVES GENS.

de me punir pour avoir été égoïste ; il me semble que j’oserais tout avouer à ma mère si je pouvais lui dire que j’ai commencé à changer. Caron peut changer : M. Jacquin a bien changé, à ce que disait l’oncle Jean. — Tiens ! voilà Marthe qui fait du vert avec du jaune et du bleu ! Si je me privais moi-même de la collation d’aujourd’hui ! Je dirais que j’ai mal à la tête. Oui, mais ce serait mentir. Et puis, aujourd’hui, on doit jouer pour la première fois au croquet, et Ardant dit que c’est si amusant ! — Comme Marthe dessine bien, et comme ce dessin ressemble à la maison ! — Je voudrais bien savoir si Ardant a quelque chose qui le tourmente comme moi. » — Ici Jean pousse un profond soupir. Marthe lève la tête et regarde son frère d’un air étonné.

« Tu as quelque chose, chéri ?

— Non, rien.

— Si, tu as quelque chose : dis-moi ce que c’est.

— Je t’assure que je n’ai rien.

— Dis-le-moi bien vite, ou je préviens maman que tu es souffrant. »

Jean, poussé dans ses derniers retranchements, prend son parti tout d’un coup.

« Écoute, Marthe, promets-moi que tu ne le diras à personne, jusqu’à ce que j’aie le courage de tout dire moi-même à notre chère maman. »

Marthe commençait à s’inquiéter.

« Eh bien ! reprit Jean, à voix si basse que Marthe fut obligée de pencher sa tête pour l’entendre (la joue du frère touchait celle de la sœur), je sais que je suis un égoïste.

— Un égoïste ?

— Oui, un égoïste, je ne pense qu’à moi ; ne me dis pas que non, je sais que c’est la vérité. Mais sois tranquille, je veux changer. » — Et il pressait fortement ses deux petites mains l’une contre l’autre. « Veux-tu m’aider, chérie ? dis que tu veux bien, dis-le, ma bonne petite sœur. Tiens, tu me feras signe quand tu verras que je manque de complaisance, ou que je deviens grognon pour la moindre contrariété. Tends-moi des pièges pour m’habituer à être sur mes gardes, comme Mademoiselle quand elle m’interroge sur ma grammaire et sur mon histoire sainte. Je t’aimerai bien, va ; dis seulement oui. »

Marthe, moitié touchée, moitié souriante, dit : « Oui.

— C’est que, vois-tu, ma bonne chérie, je ne voudrais pas ressembler à Charles Jacquin, qui fait tant de peine à sa mère et à son père.