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LES BRAVES GENS.

tantes, vieilles demoiselles qui habitaient une petite ville des environs, et qu’on ne voyait jamais. Elles vivaient ensemble, avec la plus stricte économie, sur le plus mince des revenus, et trouvaient encore moyen de faire du bien.

Si les Defert étaient fiers de leur richesse, les Salmon l’étaient tout autant de leur pauvreté ; gens honorables des deux parts, mais appartenant à des mondes différents.

Le clan Defert avait cru faire grand honneur au clan Salmon, en admettant dans ses rangs la fille du receveur municipal. Le clan Salmon, de son côté, avait cru faire non moins grand honneur au clan Defert, en lui cédant le plus beau joyau de sa couronne. Il y avait eu d’abord quelque roideur dans les relations des deux familles. Mais quand les Defert s’aperçurent que la nouvelle venue ferait honneur à leur nom, quand les Salmon remarquèrent avec quels égards et quelle déférence l’autre camp traitait leur parente, il y eut des rapprochements partiels, et bientôt les deux tribus s’unirent, sans se confondre.

Quand Marguerite vint au monde, elle eut pour parrain son oncle Paul Defert ; Marthe à son tour devint la filleule de son oncle Henri Defert. C’était, dans la pensée de Mme Defert, le tour de l’oncle Jean, quand elle eut son petit garçon. La première fois qu’elle lui en parla, l’oncle Jean ouvrit de grands yeux et rougit de plaisir.

« Vraiment, ma chère Louise, tu veux que je sois parrain. Que c’est donc gentil à toi d’avoir songé à un vieil ours comme moi. Si c’était possible, je t’en aimerais davantage pour avoir eu cette idée-là. Mais, es-tu bien sûre, ajouta-t-il en prenant un air inquiet, que ton mari n’y trouvera pas à redire ?

— À redire ! mon oncle ; que voulez-vous dire par là ? Écoutez, si vous faites le difficile, mon mari mettra une cravate blanche et un habit noir, et viendra vous prier officiellement de nous faire ce plaisir.

— Oh non ! pas de cravate blanche ; je te crois, ma bonne fille. Veux-tu maintenant, dit-il d’un ton confidentiel, que je te fasse un aveu. Eh bien, je grillais d’envie d’être le parrain de cet enfant-là ; mais je n’osais pas le dire.

— Vous n’aviez pas besoin de le dire ; cela allait de soi…

— Pas déjà tant. Il y a parmi vos Defert bien des gens riches et influents…

— Il n’y en a pas de meilleurs et de plus généreux que vous. Il n’y