Page:Les Braves Gens.djvu/33

Cette page a été validée par deux contributeurs.
21
LES BRAVES GENS.

— C’est vrai, dit Marthe en rougissant. Mon Dieu ! voilà encore cette bottine qui s’en va.

Il faut dire que Marthe avait une tendance prononcée à faire de ses bottines des pantoufles, et de ses pantoufles des projectiles ou des petits traîneaux. Marguerite se leva de sa chaise et fixa solidement au petit pied de sa sœur la bottine réfractaire, non sans faire quelques remarques sur l’état de dilapidation prématurée de cet article de toilette.

« Je crois, dit Marthe d’un ton sérieux et presque profond, que je suis paresseuse aujourd’hui parce que maman ne peut pas descendre à la salle d’étude. Et puis, je suis trop contente d’avoir un petit frère, pour travailler. »

Marguerite pensait exactement de même, mais sa dignité de sœur aînée s’opposait à ce qu’elle fît le même aveu.

« Comme il est joli, notre petit frère ! dit-elle, en tournant habilement la difficulté.

— Oh oui ! bien joli ; mais je suis sûre que tu me gronderas si je te dis quelque chose.

— Dis toujours.

— Il est très-joli, mais je le trouve un peu jaune. »

Marguerite se mit à rire : « Cher loulou, dit-elle, je puis t’affirmer que tu étais aussi jaune que lui, quand tu avais son âge. »

Marthe rougit et se mit à bouder, quand elle sut qu’elle avait été jaune aussi. Sa sœur lui dit, pour la consoler, que tous les petits enfants étaient jaunes les premiers jours, mais que cela passait bien vite ; qu’elle-même, Marguerite, elle avait été effroyablement jaune. À l’idée que Marguerite avait été jaune aussi, toute trace de bouderie disparut du charmant visage de Marthe. Elle reprit : « Ce sera un homme, n’est-ce pas, dans bien des années ?

— Assurément.

— Il aura de la barbe !

— Il aura de la barbe, bien sûr ; est-ce que tous les hommes n’en ont pas !

— Une belle barbe comme celle de M. de Ferrier ? Ce serait si amusant d’avoir un frère avec une belle barbe ! Oh ! comme ce serait amusant !

— Nous avons le temps d’attendre jusque-là ; il faut d’abord qu’il devienne un petit garçon, puis un collégien.

— Oh ! pas comme Charles Jacquin, toujours ; Marguerite,