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LES BRAVES GENS.

tude s’ils donneront jamais tous les fruits qu’avait promis leur enfance précoce. L’ex-jeune homme indécis est devenu un mari timide et indécis, assez durement mené, à ce que dit la chronique. La belle Hermance a pris le sceptre de la mode et donne le ton ; elle sait quels devoirs crée cette sorte de royauté, et son mari le sait bien aussi, le malheureux !

Le receveur particulier est devenu d’une misanthropie insupportable ; il ne compte plus dans la société ; de dépit, il épouse une vieille cousine pauvre, pour avoir quelqu’un qui le soigne, et contre qui il puisse maugréer à son aise.

C’est au milieu de ce petit train de vie que tombèrent les conférences de l’abbé Plâtre. L’abbé Plâtre était un jeune vicaire de Saint-Lubin, plein de cœur et de talent. Ses conférences s’adressaient surtout aux hommes et aux jeunes gens, mais les dames y étaient admises. La belle Hermance ayant annoncé qu’elle y assisterait, il fut de bon ton d’y aller.

L’abbé Plâtre parlait avec une éloquente simplicité. À certains mots qu’il accentuait davantage, comme poussé par une force intérieure, il y avait un frémissement dans l’auditoire. Il y eut des gens qui pleurèrent, sans songer à s’en cacher, tellement ils étaient pris par ce qu’il leur disait. D’autres, avec un air calme, sentaient leur cœur profondément remué et troublé ; mais c’était le petit nombre. Pour beaucoup d’auditeurs, la parole de l’abbé Plâtre était une musique agréable, une distraction distinguée, un passe-temps de bon ton, rien de plus. La jeunesse dorée éprouvait bien quelques petits tressaillements à certaines vérités présentées avec une éloquence irrésistible ; mais c’étaient les nerfs qui vibraient et non le cœur qui s’émouvait. On aurait rougi d’être ému, rougi de l’avouer. Une fois hors de l’église, on se vengeait par des plaisanteries et des calembours.

Le jour de la conférence sur la Famille, on songea moins à cacher son émotion : c’est un sujet sur lequel il est de bon ton de n’être point indifférent. Mais aucun de ces enfants du siècle n’en devint plus respectueux pour son père ; aucun ne se priva d’aller au cercle pour passer la soirée avec sa mère.

À ces accents vrais, au contraire, Jean sentait comme un écho qui répondait au fond de son propre cœur. Bien des choses qu’il avait seulement entrevues prenaient corps, pour ainsi dire, comme évoquées par la parole magique du prédicateur. L’émotion le prenait, des images chéries et sacrées passaient devant ses yeux. En entendant