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LES BRAVES GENS.

de pierre et de petites vitres épaisses enchâssées dans des losanges de plomb. Tout y reluit de propreté. La tante Edmée n’est pas dans la cuisine, on n’y trouve que ses lunettes posées sur son livre d’heures, à côté d’un tricot soigneusement empaqueté. Il règne dans toutes les pièces une vague odeur d’étable, de foin et d’iris. L’odeur d’étable domine du côté de la cour, l’odeur d’iris du côté du jardin. Quand Robillard ouvre la porte du jardin, les deux visiteurs se trouvent au milieu d’une plantation de giroflées en pleine fleur. Le jardin est vaste, à l’ancienne mode, tout rempli de ces fleurs de l’ancien temps que les plantes nouvellement acclimatées tendent à chasser des jardins modernes.

Jean remarqua, dans un boulingrin de tilleuls, les débris d’un Galant Jardinier de plâtre ; les jambes et la moitié du torse étaient restés sur le piédestal, on voyait le reste dans les hautes herbes. Une Jardinière Galante faisait le pendant ; elle s’était évidemment consolée de la perte du jardinier, puisqu’elle était toujours aussi galante et aussi gracieuse ; je ne dirai pas, par exemple, qu’elle fût toujours aussi jeune ; car la perte d’une notable partie de son nez, et l’éraillement de ses yeux la vieillissaient beaucoup ; au delà du boulingrin de tilleuls, il y avait un quinconce de marronniers, puis, à droite, des bosquets de lilas et un labyrinthe en charmille.

Une légère fumée bleuâtre s’élevait au-dessus de la charmille, et une odeur de tabac se mêlait au parfum des giroflées.

« Il y a là quelqu’un qui pourra nous renseigner, » dit Robillard en se dirigeant d’un pas délibéré vers le fumeur invisible. Arrivé au labyrinthe, il poussa un cri de surprise : le fumeur invisible, c’était la tante Edmée en personne. Oui, la tante Edmée, que son asthme oppressait de plus en plus, et à qui son médecin avait recommandé l’usage de la pipe. Le premier moment de surprise passé, Robillard se jeta dans les bras de sa tante, et il y eut dans le labyrinthe un échange de baisers retentissants et de questions sans réponse. Bientôt les baisers furent moins retentissants, les questions eurent des réponses, et Robillard se souvint qu’il n’avait pas encore présenté son ami. La tante Edmée trouva que Jean ressemblait à sa mère, et lui en fit son compliment. Jean trouva que la tante Edmée ressemblait à une pomme de reinette trop mûre, et se garda bien de lui communiquer cette remarque désobligeante. C’était une vieille paysanne ; son langage était à peu de chose près celui de la campagne, mais on voyait tout de suite que ses sentiments étaient élevés et son cœur généreux.