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LES BRAVES GENS.

— Oh ! mais oui, » dit le no 5 en remuant la tête de haut en bas. M. Loret allait poser quelques questions de même genre au no 6, quand Mme Loret lui dit de ne pas tant les faire languir, si c’était quelque chose d’heureux.

« C’est en effet quelque chose d’heureux, reprit l’huissier réjoui ; mais on me couperait plutôt en quatre, en huit, ou en trente-deux morceaux, que de me faire dire un mot avant que le cassis soit versé ! »

Quand le cassis fut versé en proportion décroissante depuis le papa jusqu’au no 9 :

« À la santé de M. Defert ! » dit-il, en levant son verre.

On but de confiance à la santé de M. Defert, on y joignit même la santé de madame, par-dessus le marché.

« À la santé de Léon ! »

Tous les regards se tournèrent avec surprise vers le no 2, qui rougissait, et l’on but à la santé de Léon.

« Pourquoi, dit le père, buvons-nous à la santé de Léon ?

— Oui, pourquoi ? cria le chœur des numéros.

— Eh bien, mes enfants, M. Defert m’a proposé de prendre Léon dans ses bureaux, à douze cents francs pour commencer. Si Léon est un aussi bon fils et un aussi bon frère que Camille ; s’il songe aux petits qui viennent derrière lui plutôt qu’à lui-même, voilà cette fois la famille tirée d’affaire. Nos petits pourront suivre les cours du collège. J’ai toujours rêvé ça, et je l’ai toujours espéré ; seulement je ne savais pas à quel numéro ça commencerait. Une fois au collège, ils n’ont qu’à marcher devant eux pour devenir bacheliers, et ensuite avocats ou médecins, ou quelque chose comme cela. » Léon déclara que son père avait raison de compter sur lui ; que cela lui donnerait du cœur à l’ouvrage de penser que les petits feraient un jour honneur à la famille.

Les numéros ainsi prédestinés à jeter sur le nom de Loret un plus vif éclat coururent faire part de cette bonne nouvelle aux cochons d’Inde, qui, étant d’un naturel morose, ne voulurent pas même en entendre parler. Le lapin jaune, acculé derrière la pompe, fut bien obligé d’écouter leurs confidences. L’un d’eux, ne se faisant pas une idée exacte de la longévité du lapin ni des exigences de son appétit, lui promettait que quand il serait médecin, il le soignerait pour rien toutes les fois qu’il serait malade, et le nourrirait de saucisses lorsqu’il serait en bonne santé. « Puisqu’il sera médecin, moi je serai