on pouvait nous entendre ! Mon père, qui ne pleurait pas, me dit : « Nous sommes perdus si personne ne vient à notre secours ; l’orage est presque passé, tu vas gagner la côte dans ce canot… »
— Comment, ils ont laissé un de leurs canots ?
— Oh ! une petite barque où nous n’aurions pas pu monter tous. Alors je suis parti et me voilà. Votre bac est plus solide que mon canot et vous m’avez l’air d’un brave…
— Quant à ça, tu as raison. Le Mississipi ne m’a jamais fait peur.
— Et puis, vous n’y perdrez rien. Miss Hooker m’a dit que son oncle Hornback…
— Tonnerre ! c’est sa nièce ? Elle ne devait arriver que dans huit jours. Je serais déjà en route, si tu avais parlé plus tôt… Tu vois cette lumière, là-bas, à gauche ?
— Oui.
— Cours-y aussi vite que tes jambes te porteront. C’est la taverne, et elle est toujours pleine le soir. Raconte-leur ce qui arrive et prie-les de ma part d’aller prévenir le vieux Hornback… Qu’attends-tu ? Ah ! bon ! Ton père et les autres, n’est-ce pas ? Sois tranquille, je les emmènerai par-dessus le marché, la place ne manque pas. Dépêche-toi. Il faut que j’aille réveiller mon chauffeur.
Je partis en courant dans la direction qu’il venait de m’indiquer ; mais, dès qu’il eut le dos tourné, je regagnai le canot, je longeai la côte et je me faufilai parmi les bateaux amarrés devant un chantier. Je tenais à assister au départ du bac. En somme, j’étais assez content de moi. Il y a beaucoup de gens qui ne se seraient pas donné autant de peine pour empêcher trois mauvais garnements de se noyer.
Enfin je vis le petit steamer filer à toute vapeur et je ne songeai plus qu’à rejoindre Jim. Je crus que sa lanterne ne se montrerait jamais. Lorsque je l’aperçus, il me sembla qu’elle se trouvait à cent lieues de moi. Quand j’atteignis le radeau, le ciel commençait déjà à blanchir. Jim tombait de sommeil et moi aussi ; aussi ne tardâmes-nous pas à nous endormir sous les arbres, dans une île où nous avions abordé.