incroyable. Je n’en doutai plus à la vue des innombrables lumières qui brillaient à une heure où tout le monde devait dormir.
Nous commencions à nous sentir plus rassurés. Quand l’occasion se présentait, je descendais à terre à l’entrée d’un village pour acheter du lard, des légumes ou des fruits. Naturellement on me demandait d’où je venais, où j’allais, qui j’étais, et cœtera. Je répondais que je venais de l’île Jackson, que je conduisais un train de bois au Caire, près de l’embouchure du Mississipi. Il va sans dire que Jim ne se montrait pas. De temps à autre, nous abattions une poule d’eau qui se levait un peu trop tôt ou se couchait un peu trop tard. Bref, nous vivions comme des coqs en pâte.
La sixième nuit, au-dessous de Saint-Louis, un orage éclata. Le tonnerre grondait, les éclairs se suivaient presque sans interruption et la pluie se mit à tomber à torrents. Réfugiés dans le wigwam, nous laissions le radeau obéir au courant, tout en surveillant sa marche. À chaque minute, un éclair illuminait l’horizon, nous montrant l’immense nappe du fleuve et les côtes rocheuses entre lesquelles il coule. Soudain je m’écriai :
— Regarde donc là-bas, Jim !
— Oh ! j’ai bien vu, répliqua-t-il.
C’était un steamer qui avait échoué sur un rocher vers lequel le radeau se dirigeait en droite ligne. Les éclairs nous montraient fort distinctement le vapeur qui avait une bonne moitié de sa quille hors de l’eau. Aux lueurs de l’orage vous auriez pu distinguer les cordages, et, à côté de la grosse cloche, une chaise au dos de laquelle restait accroché un caban de pilote.
— Décidément, nous avons de la chance, repris-je. Un navire abandonné ! Nous allons voir ce qu’il y a là dedans. Abordons.
Jim, qui venait justement de saisir la gaffe afin d’éviter un abordage, refusa net.
— Non, non, dit-il. Nous nous en sommes bien tirés jusqu’ici ; à quoi bon courir des risques ? Il y a probablement un veilleur à bord.