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Tu n’as rien à craindre de moi ; je garderai ton secret ; je te viendrai même en aide, et mon mari aussi, s’il peut t’être utile. Je vois bien que tu es un apprenti et que tu as pris la clef des champs. Tu as planté là ton maître, hein ? J’ai eu un fils qui aurait ton âge, s’il vivait encore, et il en a fait autant. Le mal n’est pas grand. On t’a maltraité et tu es parti sans dire au revoir ? Allons, raconte-moi tout ; ce n’est pas moi qui te dénoncerai.

Je n’étais plus embarrassé. L’histoire qu’elle venait de me suggérer arrivait fort à propos.

— Eh bien, je vais tout vous raconter, répliquai-je, car je suis sûr que vous me tiendrez parole et que vous ne me trahirez pas. Ma mère est morte, mon père a disparu, et on m’a mis en apprentissage chez un fermier, à une trentaine de milles d’ici. Cela m’ennuyait d’être battu et je n’y tenais plus. Il est parti pour un voyage de trois ou quatre jours ; j’ai profité de l’occasion pour prendre ces vieilles nippes que sa fille laissait traîner au fond d’une malle, et…

— Tu n’as jamais pu agrafer cette robe tout seul. Qui t’a aidé ?

— Un nègre qui m’a conseillé de me déguiser. Je crois que mon oncle Abner Moore me recevra volontiers chez lui. Il m’a reproché de n’être jamais venu le voir depuis qu’il habite Goschen.

— Goschen, mon pauvre garçon ? Tu es à Saint-Pétersbourg, à dix milles de Goschen. Qui donc t’a si mal renseigné ?

— Un homme que j’ai rencontré ce matin. Je ne craignais pas de me tromper de route, car je sais qu’il n’y a qu’à suivre le fleuve. Je lui ai seulement demandé si j’avais encore loin à aller et il m’a dit…

— Enfin, il s’est trompé ou bien il avait bu.

— Je crois plutôt que c’est moi qui ai mal compris. En tout cas, il faut me remettre en route ; mon oncle serait inquiet.

— Inquiet ? Il ne t’attend pas.

— Oh ! si, madame ; du moins, je lui ai écrit avant de partir.

— Bien sûr ? Alors, tu peux me laisser son adresse ? Nous allons voir.