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— C’est vrai ; mais tu peux être sûr que Robinson n’a pas voulu lui porter malheur ; il l’aurait appelé Dimanche, s’il l’avait rencontré pour la première fois ce jour-là. Je parie aussi, qu’en dépit de ses chèvres et de son perroquet, il ne serait pas resté huit jours dans son île s’il avait eu un canot et s’il avait aperçu Saint-Pétersbourg du haut de sa caverne. Tom Sawyer non plus, je t’en réponds. Il aurait tenu à savoir ce qui se passe là-bas, et j’ai bien envie de traverser le fleuve un de ces soirs.

Jim désirait autant que moi savoir ce qui se passait de l’autre côté du Mississipi ; cependant l’idée ne parut guère lui sourire.

— On n’a pas eu le temps de vous oublier, me dit-il, et, pour découvrir quelque chose, il faudra parler aux gens.

— Tu penses bien que je ne m’adresserai pas au premier venu. D’ailleurs, j’ai de bonnes jambes ; il n’y a pas de canots au bas de la ville, et le nôtre sera là.

— Alors, il faudra que je vous attende au bas de la ville ?

— Pas du tout, répliquai-je. Tu m’attendras ici, et tu fileras sur le radeau, si je ne suis pas revenu avant qu’il fasse grand jour. Tu emporteras ce qui reste de provisions, les huit dollars, le fusil, et tu tâcheras de gagner les États libres.

— Oh ! je sais conduire un radeau et je me tirerai bien d’affaire tout seul. C’est pour vous que je crains, massa Huck. Vous voilà presque aussi bien habillé que chez la veuve et ça ne vous change pas assez… Au fait, il y aurait un moyen… Si vous mettiez une des robes qui sont là ?

— Décidément, Jim, tu n’es pas bête, m’écriai-je, Tom Sawyer lui-même n’aurait pas trouvé mieux.

Jim, comme beaucoup de nègres, savait coudre. Il se mit aussitôt à l’œuvre et eut bientôt arrangé à ma taille une robe de calicot et un jupon ramassés dans la maison flottante. Je ramenai le bas de mon pantalon jusqu’aux genoux ; les vêtements de contrebande furent passés par-dessus ma tête et Jim agrafa la robe derrière mon dos.