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les branches mortes avaient l’air d’hommes accroupis et de bras allongés pour m’empoigner.

Revenu à mon camp, je ne me sentais pas très alerte ; mais ce n’était pas le moment de se croiser les bras. Je me dépêchai de replacer tout mon bagage dans la barque afin de le mettre hors de vue ; j’éteignis le feu, dont j’éparpillai les cendres, et je grimpai dans un arbre. J’y restai longtemps — deux heures au moins, je crois — sans rien voir ni entendre de suspect. On s’ennuie à demeurer éternellement assis sur une fourche, même quand elle est tapissée de mousse. Je finis par descendre. Après avoir mangé ce qui restait de mon déjeuner, une nouvelle marche me dégourdit les jambes. J’avais soin, bien entendu, d’éviter les clairières. Le seul résultat de ma promenade fut de me démontrer que celui que je guettais se promenait d’un autre côté.

La tombée de la nuit me ramena à mon canot. Avant le lever de la lune, j’étais à un quart de mille de mon premier bivouac, sur la côte de l’Illinois. Je venais de dire un dernier mot à un bon souper préparé dans le bois quand le bruit d’un galop lointain, bientôt suivi d’un bruit de voix, m’arriva. J’avais presque résolu de passer la nuit sur la lisière de la forêt. Cette alerte dérangea mes projets. Les cavaliers ne devaient certes pas songer à moi ; mais mon fusil et ma couverture pourraient les tenter si par hasard la faible lueur de mon feu attirait leur attention. Je rapportai mon attirail dans le canot ; je poussai au large et j’attachai mon amarre à l’endroit d’où j’étais parti. Je comptais dormir à poings fermés dans ma barque ; mais chaque fois que je commençais à m’assoupir, je me réveillais en sursaut, convaincu que quelqu’un me saisissait par la gorge. Enfin, je me dis :

— Pas moyen de vivre ainsi. Il faut que je découvre qui est avec moi sur l’île.

J’empoignai ma pagaie, et, m’éloignant un peu de la rive, je laissai glisser le canot sans sortir de l’ombre, car la lune éclairait encore le milieu du fleuve. Au bout d’une heure, j’eus presque atteint l’extrémité