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Mon souper fut vite expédié ; puis, je posai une ligne avec la certitude de la trouver bien garnie à ma prochaine visite.

La nuit venue, je m’allongeai près du feu et je bourrai ma pipe. Je me sentis d’abord fort satisfait ; mais peu à peu le silence qui régnait autour de moi me sembla lugubre. J’allai donc m’asseoir au bord du fleuve, où je m’amusai à écouter le clapotis de l’eau, à compter les radeaux qui passaient, ou à regarder les étoiles. Cela ne m’empêcha pas de continuer à broyer du noir.

— Décidément, me dis-je, j’aimerais mieux une île moins déserte… Bah ! je m’y habituerai. Allons me coucher ; il n’y a pas de meilleur moyen de tuer le temps.

Je regagnai mon camp et je m’endormis. Le lendemain, quand j’ouvris les yeux, le soleil brillait, les oiseaux chantaient, les feuilles dansaient ; il n’en fallait pas tant pour mettre en fuite mes idées de la veille. Après avoir déjeuné, je me décidai à explorer mon domaine. Je le connaissais comme ma poche ; mais aujourd’hui qu’il m’appartenait, je m’y intéressais davantage. Je me dirigeai en flânant vers la pointe de l’île, mon fusil sur l’épaule ; je l’avais emporté pour me protéger plutôt qu’avec l’intention de chasser, car le gibier abondait dans le voisinage de mon camp. Chemin faisant, je vis beaucoup de fraises mûres ; il y avait un tas d’autres fruits qui, par malheur, étaient encore verts. Tout à coup, je faillis poser le pied sur un assez gros serpent qui fila en rampant dans l’herbe et me voilà parti après lui. Au moment où je m’apprêtais à tirer, je me trouvai en face d’un feu de camp qui fumait encore.

On n’est jamais content ! Évidemment, mon île était moins déserte que je ne l’avais cru, et, au lieu de sauter de joie, je bondis en arrière ; sans même regarder autour de moi, je détalai au plus vite. De temps à autre, je m’arrêtais une seconde dans un taillis et j’écoutais. Si une branche sèche se brisait sur mon passage, il me semblait que quelqu’un me coupait l’haleine en deux pour ne m’en laisser que la moitié — et la plus petite moitié encore ! À distance, les troncs d’arbres,