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touchait pas le sol. Je remis si bien les choses en ordre que vous ne vous seriez jamais douté que quelqu’un avait passé par là. D’ailleurs, comme la porte était ouverte, on ne s’aviserait pas de chercher une autre issue.

Mes préparatifs terminés, je décrochai le fusil que mon père, dans sa hâte, avait oublié et je m’enfonçai sous les arbres. J’aperçus bientôt un jeune amateur de glands qui se régalait et qui détala à mon approche. Les messieurs habillés de soie échappés des fermes voisines devenaient vite sauvages dans la forêt. J’abattis ce monsieur-là d’un coup de fusil et je le rapportai au camp, où je le posai à terre afin de le laisser saigner un peu. Je dis à terre, car c’était de la terre battue et non un parquet. Il s’agissait maintenant de faire disparaître maître habillé de soie. Je le mis dans un vieux sac que je traînai jusqu’à la porte, puis jusqu’au petit promontoire du haut duquel j’avais sauté le matin même et d’où il fit à son tour un beau plouf ! On n’aurait qu’à ouvrir l’œil pour reconnaître la route suivie par la victime. Ah ! comme je souhaitais que Tom se fût trouvé là !

Je songeai alors à un autre moyen de dérouter les curieux. Je retournai à mon canot reprendre le sac de farine et la scie. Je remis le sac à la place qu’il occupait ordinairement ; j’ouvris un trou au fond de la toile à l’aide de la scie et je le portai entre mes bras à une centaine de yards de la cabane. Cette fois, je me dirigeai vers une espèce de lac, situé derrière la cabane, peu profond et plein de roseaux — de canards aussi, dans la bonne saison. À l’extrémité la plus éloignée de la hutte, à quelques milles de distance, s’ouvrait un petit canal qui s’en allait je ne sais où. Naturellement, le trou laissa échapper un peu de farine et forma une piste tout le long du chemin. Pour revenir, je retournai le sac, dont l’ouverture était bien ficelée. Autrefois, mon père allait chercher au bord du lac des brassées d’osier qu’il vendait aux fabricants de paniers, de sorte qu’il y avait un sentier tout tracé. Je piétinai et je renversai les roseaux à l’endroit où il aboutissait, afin de donner à croire que les voleurs avaient passé par là.