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hein ? C’est vrai, tout de même. Eh bien, j’emmènerai Huck ; après, nous verrons.

On fut quelque temps sans le revoir et la veuve demeura convaincue qu’il avait parlé en l’air ou renoncé à son projet. Mais un beau jour, tandis que je revenais seul d’une partie de pêche, il tomba sur moi à l’improviste, m’entraîna malgré moi et me fit monter dans un canot qui aborda, à trois milles de distance environ, sur la rive opposée du Mississipi, c’est-à-dire sur la côte de l’Illinois. Sa maison — car il n’avait pas menti — était un log-house construit à l’entrée d’un bois où personne ne se serait avisé de chercher une habitation.

Mon père me surveilla de si près que je n’eus aucune occasion de m’enfuir. Le soir, il fermait à double tour la porte de la cabane et mettait la clef sous sa tête. Il avait un fusil et nous vivions du produit de notre chasse ou de notre pêche. De temps en temps, il m’enfermait pour aller à la ville vendre du gibier et du poisson. Il rapportait invariablement, entre autres provisions, une bonne quantité de whisky, et, quand il avait trop bu, il tapait dur. Mme Douglas finit par découvrir où j’étais et envoya un de ses domestiques pour tâcher de me reprendre. Mon père ne voulut pas entendre parler de compromis ; il jura de loger une balle dans la tête de l’ambassadeur, si on cherchait à me délivrer.

Sauf les coups, je ne me trouvais pas à plaindre. Ce n’était pas amusant de rester prisonnier, même pendant une demi-journée ; mais il n’y avait pas de leçons à apprendre et les heures que je passais à dormir ou à fumer ne me paraissaient pas longues. Au bout de deux mois, mes habits n’étaient plus que des guenilles. Je me demandais comment j’avais pu me faire aux coutumes des gens de la ville. Le changement me plaisait. Lorsque Mme Douglas et sa sœur me tracassaient par trop, j’avais souvent pensé qu’il vaudrait mieux vivre seul au milieu d’un bois.

Par malheur, je n’étais pas seul, et mon père ne se contentait pas de m’adresser des reproches. Sans provocation aucune de ma part, il