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que moi, parce que je n’ai jamais mis le nez dans un livre ? Allons, laisse-moi t’entendre lire.

Je pris un livre sur la table et je lui lus une dizaine de lignes à propos du général Washington et de la guerre de l’Indépendance. Il m’écouta pendant deux ou trois minutes ; puis, d’un coup de poing, il envoya le livre à l’autre bout de la chambre.

— C’est vrai ! dit-il. Maintenant, écoute-moi bien. Tu vas cesser de faire jabot, mon garçon. Je te surveillerai. Si je t’attrape près de l’école, gare à ton dos !

Tout en parlant, il allongea le bras pour ramasser sur la table une petite image où il y avait trois vaches rouges et un bonhomme bleu.

— Qu’est-ce que c’est que ça ? demanda-t-il.

— Un bon point qu’on m’a donné parce que j’ai bien récité mes leçons.

Il déchira l’image en morceaux.

— Un bon point ! répéta-t-il. Une bonne raclée, voilà ce que je te donnerai, moi, si tu retournes là-bas.

Après avoir un peu grommelé et regardé autour de lui, il reprit :

— Un lit, et des couvertures, et une glace et un tapis, quand ton père a eu à dormir avec les porcs sous le hangar de la vieille tannerie ! Je n’ai jamais vu un fils pareil ! Tu rentreras dans ta coquille avant peu, je t’en réponds. Est-ce à l’école qu’on t’apprend à te donner ces airs-là ? Et on dit que tu es riche. Comment ça se fait-il, hein ?

— On a menti, voilà comment ça se fait.

— Prends garde, mon gaillard. Je te passe bien des choses, mais je perdrais patience à la fin. Depuis deux jours je n’entends parler que de ta chance. On en parlait aussi là-bas, de l’autre côté du Mississipi, et c’est pour ça que je suis revenu. Tu iras chercher ton argent demain et tu me le remettras ; j’en ai besoin.

— Je n’ai pas d’argent.

— Possible. C’est l’avocat Thatcher qui a tes fonds. Tu les lui reprendras ; j’en ai besoin.