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Je savais fort bien qui dessinait ainsi une croix sur sa chaussure.

En un clin d’œil, je me redressai et je descendis la colline au pas de course. Je ne m’arrêtai qu’en arrivant chez M. Thatcher, qui se tenait dans son bureau, où l’on me fit entrer.

— Tu viens à propos, Huck, me dit-il en riant. Te voilà tout essoufflé. Est-ce que tu as couru si vite parce que j’ai de l’argent à te remettre ?

— Comment ! de l’argent à me remettre ?

— Oui. J’ai touché hier le premier semestre de tes intérêts, plus de cent cinquante dollars. Seulement, il est convenu avec la veuve que nous placerons ces fonds avec le reste.

— Oui, oui, j’ai bien assez de ce qu’elle me donne. Gardez-les, et les six mille dollars aussi, comme s’ils étaient à vous.

M. Thatcher parut surpris.

— Hum ! dit-il ; il y a une anguille sous roche. Voyons, mon garçon, explique-toi.

— Ne me demandez pas d’explication, s’il vous plaît. Vous garderez tout, n’est-ce pas ?

— Sais-tu que tes airs mystérieux m’intriguent ? Tu me caches quelque chose.

— Je tiens à ce que vous gardiez l’argent, voilà tout, répliquai-je. Est-ce que je n’ai pas le droit de vous le donner ? Je suis venu exprès pour cela. Ne m’en demandez pas davantage.

— Oh ! oh ! dit-il après m’avoir regardé un instant, je crois deviner, et je vais tâcher de te tirer d’embarras… Non, tu n’as pas le droit de me donner ton bien à titre gratuit ; mais la loi te permet de me le vendre.

Il griffonna une ligne ou deux sur une feuille de papier, qu’il me fit signer, et, après m’avoir lu ce qu’il venait d’écrire, il ajouta :

— Vois-tu, c’est là un acte de vente. Un simple don ne serait pas valable. Voilà un dollar qui représente le prix d’achat. Mets-le dans ta poche. Maintenant, tu peux affirmer que tu as cédé les sommes placées en ton nom, que tu as reçu un équivalent en échange et que tu ne