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terroger au sujet de Tom et je voulais opérer une diversion qui me fournirait peut-être l’occasion que je cherchais.

— Mais vous avez rapporté une lettre, mon oncle, dis-je.

— C’est vrai, je n’y songeais plus, répliqua-t-il en fouillant dans ses poches dont il tira la lettre. Justement, elle porte le timbre de Saint-Pétersbourg.

Je reconnus que je venais de commettre une bévue ; je me rappelai trop tard que Tom escamotait les réponses. Je n’eus pas le temps de me reprocher mon oubli. Tante Sally laissa tomber la lettre sans l’ouvrir et courut dehors. Elle avait vu quelque chose par la fenêtre ouverte. Moi aussi j’avais vu et je la suivis de près. C’était Tom étendu sur un brancard improvisé avec des branches d’arbres. C’était Jim affublé de la robe de Mme Phelps, les mains attachées derrière le dos, escorté par une dizaine de planteurs qui paraissaient disposés à l’écharper. C’était le docteur qui, au lieu de revenir seul après avoir retiré la balle, ramenait le blessé. Tom avait bien raison de se défier des médecins. Celui-là nous avait trahis.

Tante Sally se jeta sur le brancard en s’écriant :

— Il est mort !

— Rassurez-vous, madame, dit le docteur, je vous garantis qu’il n’y a pas de quoi s’alarmer. Il a reçu une chevrotine dans la jambe ; mais la blessure n’a rien de dangereux.

Au même instant Tom ouvrit les yeux et prononça deux ou trois phrases décousues qui montraient qu’il n’avait pas la tête à lui.

— Il est vivant, grâce au ciel ! dit tante Sally qui embrassa le blessé. Sid, Sid, quelle douleur tu m’as causée. Comment cela a-t-il pu arriver ? Réponds-moi donc !

Ce fut le docteur qui répondit :

— La fièvre lui donne un peu de délire. Vous l’interrogerez plus tard. En attendant, il sera mieux dans son lit que sur ce brancard.

— Vous avez raison ; moi aussi, je perds la tête… Mon pauvre Sid !

Elle embrassa de nouveau Tom et regagna la maison, où l’on eut