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— Tu vois, me dit Tom, on ne peut seulement pas compter sur lui pour remettre un simple clou à un prisonnier. C’est égal, l’histoire de la cuiller a bien tourné. Il nous a tirés d’un mauvais pas sans s’en douter, et il mérite que nous fassions quelque chose pour lui. Nous lui éviterons la peine de boucher les trous de rat.

Les trous ne manquaient pas dans le cellier. Il nous fallut près d’une heure pour calfeutrer toutes les issues ; mais la besogne fut bien faite. À peine étions-nous remontés, que l’oncle Silas arriva, une chandelle dans une main, un petit baquet dans l’autre. J’allais le prévenir, quand Tom me saisit par le bras et me dit tout bas :

— Il ne nous a pas vus. Laissons-lui le plaisir de la surprise ; il ne nous en remerciera que davantage.

L’oncle Silas ne nous remercia pas du tout. Il remonta au bout d’une dizaine de minutes, et, cette fois, il nous aperçut en atteignant le haut de l’escalier.

— D’où venez-vous, mes enfants ? nous demanda-t-il. Je vous ai cherchés partout ; mais je n’ai plus besoin de vous. Les trous sont bouchés. Par exemple, je ne me rappelle pas quel jour je suis descendu dans le cellier.

Et il s’éloigna en grommelant.

Tom aussi était de mauvaise humeur. Il regrettait sa cuiller, dont il prétendait ne pouvoir se passer. Après avoir réfléchi, il m’expliqua comment il voulait réparer la bévue de l’oncle Silas. Son plan me parut trop compliqué.

— À quoi bon ces manigances ? lui demandai-je. Il serait beaucoup plus simple de…

— De faire comme tout le monde, n’est-ce pas ? Tu oublies qu’un prisonnier ne peut pas faire comme tout le monde.

— Il me semble pourtant que tu t’es contenté de prendre la cuiller dans le panier, et tu vas recommencer.

— Cette fois, ce ne sera pas la même chose, puisque nous risquons d’être découverts. Viens donc !