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— Oui, mais Jim aura beau les couvrir de marques, on n’y comprendra rien.

— Tu sors de la question, Huck. Tout ce qu’on réclame de lui, c’est de gratter les assiettes et de les jeter dehors. La moitié du temps on ne peut pas lire ce qu’un prisonnier a griffonné.

— Alors, pourquoi gaspille-t-il ses assiettes ?

— Ça lui est bien égal ; elles ne sont pas à lui.

— Elles sont à quelqu’un, je suppose ?

— Voyons, te figures-tu que le Masque de fer s’inquiétait de savoir à qui appartenaient les plats d’argent qu’il jetait par la fenêtre ?

Notre entretien fut interrompu par un négrillon qui annonçait l’heure du déjeuner en soufflant dans un cornet à bouquin et nous courûmes nous mettre à table. Ce matin-là, j’empruntai le drap de lit et la chemise dont nous avions besoin. Tom les fourra dans un vieux sac avec les débris de bois phosphorescents qui devaient remplacer la lanterne.

J’appelai cela emprunter, parce que mon père se servait de ce mot ; mais Tom me dit que nous aurions bel et bien commis un vol, si nous n’avions pas représenté des prisonniers. Il est permis à un prisonnier de prendre ce qu’il faut pour s’évader. Nous avions donc le droit de tout rafler, puisque nous agissions pour le compte de Jim. Cela n’empêcha pourtant pas Tom de me gronder deux ou trois jours plus tard, parce que j’avais pris un melon dans le jardin d’un nègre et que je m’en étais régalé.

— Il est convenu que nous pouvons prendre ce dont nous avons besoin, lui dis-je, et j’avais besoin du melon.

— Tu n’en avais pas besoin pour sortir de prison, répliqua-t-il, et cela change la thèse. S’il nous avait fallu un melon afin d’y cacher un poignard et de le faire parvenir à Jim pour tuer son geôlier, personne n’y trouverait à redire.

— Eh bien, je ne vois pas ce qu’on gagne à représenter un prisonnier, si on ne peut seulement pas manger une tranche de melon à sa place.