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— Demain, nous commencerons par monter à bord de mon canot pour amener le radeau de l’île et nous le cacherons dans un bon endroit. Après, nous prendrons la clef dans la poche de l’oncle Silas, pendant qu’il dormira ; nous ouvrirons la porte, puis…

— Peuh ! fit Tom, le premier venu aurait trouvé ça. Oui, la chose marcherait comme sur des roulettes, mais elle ne ressemblerait guère à une aventure. À quoi bon un plan qui ne donnerait pas plus de peine et n’étonnerait personne ? Une évasion où l’on s’en va sans courir le moindre danger n’est pas une véritable évasion.

Je ne cherchai pas à défendre mon idée ; je devinai que le programme de Tom serait supérieur au mien.

— Que comptes-tu faire ? lui demandai-je.

— Je n’en sais rien encore, répondit-il. J’ai plus d’une idée en tête, moi.

Il voulut bien entrer dans quelques détails, dont je me dispense de parler, car il se réservait d’agir selon les circonstances, et il n’y manqua pas. Je reconnus volontiers qu’il se montrait cent fois plus inventif que moi, tout en restant convaincu que Jim aurait trouvé mon projet plus pratique.

Une chose semblait certaine. Tom était fermement décidé à m’aider dans mon entreprise et à partir avec le fugitif. Je n’en revenais pas. Voilà un garçon bien élevé, ayant une réputation à perdre, dont la famille avait toujours manifesté un profond mépris pour les abolitionnistes et qui n’hésitait pas à se couvrir de honte, lui et les siens, en protégeant un nègre évadé ! Non, je n’y comprenais rien. Moi, c’était différent. Jim était mon ami, je tenais à le sauver et je me moquais du qu’en dira-t-on. N’était-il pas de mon devoir d’engager Tom à me laisser agir seul, à se borner à me garder le secret ? Au premier mot que je lui en touchai, il me demanda d’un ton froissé :

— Est-ce que Tom Sawyer ne passe pas pour savoir ce qu’il fait, en général ?

— D’accord.