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— Je n’en suis pas trop sûr. Elle se fâchera quand elle verra un second Tom lui tomber des nues.

— Eh bien, non, dit Tom, après avoir réfléchi. J’ai une idée ; elle ne se fâchera pas. Sois sans inquiétude. Prends mon sac de voyage dans ta voiture et retourne à la ferme sans te presser, de façon à paraître revenir de la ville. J’arriverai un quart d’heure ou une demi-heure après toi et je me charge du reste. Ce sera drôle, tu verras. Seulement, il ne faudra pas avoir l’air de me connaître tout d’abord.

— Bon, je m’en rapporte à toi… Attends un peu, j’ai un secret à te confier. Il y a là-bas un nègre que je cherche à faire évader — Jim, le nègre de miss Watson.

— Jim ? répéta Tom. Tu n’as pas besoin de t’occuper de lui. Il a eu plus de chance qu’il n’en mérite ; sa maîtresse…

— Je devine ce que tu vas me dire, et je me le suis déjà dit, interrompis-je. Un blanc devrait rougir d’être l’ami d’un nègre ; mais moi, je n’en rougis pas. Jim est prisonnier chez ton oncle — je ne sais pas encore où, par exemple — et je veux le délivrer. Tu me garderas le secret ?

— Certainement, je te garderai le secret, et je t’aiderai par-dessus le marché.

Je tombai de mon haut.

— Tu plaisantes, lui dis-je. Tu passeras aussi pour un abolitionniste.

— Peu importe. On ne trouve pas tous les jours un prisonnier à délivrer.

Tom mit son sac dans ma carriole et avança au pas, tandis que je me dirigeais vers la ferme. J’étais si content que j’oubliai de lambiner en route, de sorte que j’arrivai à la maison plus tôt qu’il n’aurait fallu. Justement M. Phelps se tenait sur le pas de la porte ; il se frotta les yeux en m’apercevant.

— C’est étonnant ! s’écria-t-il. Qui aurait jamais cru cette jument capable de faire le trajet en si peu de temps ? Et pas un poil mouillé.