— Quelque chose me dit qu’il est arrivé. Tu es bien sûr ?
— Je suis sûr que personne n’a débarqué depuis hier.
— Et il y a tant d’accidents ! Que dira ma sœur ? Je n’ose pas y penser… Mais regarde donc, Silas, là-bas, au tournant de la route. C’est peut-être lui.
M. Phelps se pencha en dehors de la croisée, ce qui permit à mon hôtesse de préparer sa surprise. Elle me tira de ma cachette, et, lorsque son mari se retourna, elle se tenait à côté de moi, le visage rayonnant. L’oncle Silas n’était pas fort, car il ne comprit pas tout de suite qu’on lui jouait un tour.
— Tiens ! d’où sort ce garçon-là ? demanda-t-il.
— Tu ne devines pas ? C’est lui ; c’est Tom Sawyer !
Je crus que le parquet allait s’écrouler sous mes pieds ; mais je ne tardai pas à me remettre. Le vieux monsieur me prodigua des poignées de main et des paroles affectueuses ; puis il fallut répondre à une véritable averse de questions à propos de tante Polly, de Marie, de Sid et de toute la tribu des Sawyer.
Si mes hôtes se réjouissaient de me voir, je ne me réjouissais pas moins d’avoir enfin appris qui j’étais. Je leur eus bientôt fourni sur ma famille — c’est-à-dire sur la famille de Tom — beaucoup plus de renseignements que tous les Sawyer du monde n’auraient pu leur en donner. Cela marchait comme sur des roulettes. Rien de plus facile que de remplir le rôle que l’on m’assignait. Aussi me sentis-je à mon aise jusqu’au moment où j’entendis le bruit d’un vapeur qui descendait le fleuve en toussant. Si ce steamer avait déposé au débarcadère de la ville celui qu’on attendait ? Si Tom allait se montrer et me nommer ? Cela gâterait tout. D’un autre côté, quel prétexte employer pour me poster sur la route afin d’arrêter Tom au passage ?
M. Phelps me vint de nouveau en aide.
— Encore un vapeur, dit-il. Heureusement, je n’ai plus besoin de remonter dans ma carriole, je vais la faire dételer.
Je saisis la balle au bond.