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Le lendemain matin, nous étions à environ deux milles d’une petite ville nommée Pikesburgh, quand le roi m’ordonna de gagner la côte et d’amarrer le radeau.

— Je vais débarquer seul, me dit-il au moment où je m’apprêtais à sauter à terre. Si je ne suis pas de retour à midi, Bridgewater doit venir me rejoindre et vous l’accompagnerez.

Je restai donc sur le radeau. À midi, le roi ne s’était pas montré et le duc m’emmena, laissant Jim dans le wigwam. Je n’osai pas refuser de partir avec lui ; mais cette fois j’étais décidé à retirer mon épingle du jeu et à battre en retraite dès qu’on n’aurait plus l’œil sur moi. À mi-chemin, nous rencontrâmes des gens qui venaient de la ville et avec lesquels mon compagnon, contre son habitude, évita de lier conversation.

Arrivés à Pikesburgh, nous cherchâmes en vain le roi. Nous finîmes par le trouver dans une buvette, entouré d’une foule de badauds qui se moquaient de lui. Il était trop ivre pour tenir sur ses jambes et ses menaces ne servaient qu’à mettre les rieurs en verve. Le duc, bouffi de rage, éclata en injures et son associé lui lança à la figure un paquet de cartes. Quand la querelle fut bien engagée, je gagnai la porte sans me presser et une fois dehors je partis comme un trait. Bien que je fusse tout essoufflé, je criai d’une voix joyeuse en sautant à bord du radeau :

— Ohé, Jim, nous sommes sauvés !

Pas de réponse. Le wigwam était vide. Je parcourus le petit bois en face duquel nous étions amarrés, pensant que Jim, pour un motif ou un autre, avait jugé bon de s’y cacher. J’eus beau lancer de nouveaux cris d’appel, mon vieux Jim avait disparu. Alors je m’assis sur l’herbe et je pleurai. Je me relevai bientôt, ne sachant que penser de cette disparition ni à quoi me résoudre. Je venais de déboucher sur la route, quand je vis arriver un garçon de mon âge qui s’avançait les mains dans les poches. Je lui demandai s’il n’avait pas rencontré un nègre habillé de telle et telle façon.

Mon père disait toujours qu’il ne faut pas avoir l’air trop pressé